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Droit à l’erreur dans les métiers du droit

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Par William Cargill, fondateur, Deinceps

Errare humanum est. Et pourtant… S’il est bien une profession qui utilise des termes latins mais qui a la phobie de l’erreur, ce sont les juristes. Et pour cause : la notion d’erreur renvoie, pour le juriste, à l’un des trois vices du consentement et aux conséquences importantes qui y sont attachées.

A cela s’ajoute le fait que les juristes, et au premier rang d’entre eux les avocats, cultivent le perfectionnisme dans leur pratique. Commettre une erreur est inacceptable.

Et pourtant… Commettre des erreurs est non seulement inévitable, mais parfois souhaitable. Les exemples d’erreurs bénéfiques ne manquent pas : la pénicilline, le four à micro-ondes, l’imprimante à jet d’encre et le pacemaker ne sont que quelques-unes des innombrables erreurs qui ont bien tournées. Un enfant tombe plus de 2.000 fois avant de réussir à marcher. Si les enfants avaient une âme de juriste, ils n’oseraient jamais marcher ou resteraient assis après la première chute, de peur de tomber…

L’erreur fait ainsi partie intrinsèque de la vie et de toute action, mais certaines tâches sont plus propices au risque d’erreur.

Commettre des erreurs est inévitable dans les métiers heuristiques

S’il est possible d’anticiper et de prévenir les erreurs dans les activités répétitives (ou algorithmiques) comme le travail à la chaîne, commettre des erreurs est inévitable dans des activités non répétitives (ou heuristiques) comme les métiers du droit.

L’apparition permanente de nouveaux métiers va renforcer le risque d’erreur : aborder des terras incognitas implique nécessairement d’en commettre. Dans les métiers du droit plus particulièrement, la complexification de l’environnement conduit également à son augmentation.

Face à cette augmentation inévitable, la plus grosse erreur serait de ne pas vouloir en faire ou de croire que nous pourrions ne pas en faire. La seconde serait de penser que l’erreur est nécessairement nuisible et qu’elle est à bannir absolument et à tout prix.

L’erreur n’est pas synonyme d’échec

Or, l’erreur n’est pas synonyme d’échec. L’erreur pourrait se définir comme la référence de non-conformité par excellence. Elle est donc ce que combattent les injonctions de zéro défaut, de satisfaction totale, d’excellence, etc.

Dans les métiers du droit où règne la culture de la perfection, l’erreur n’est pas tolérée et les scènes d’associés ou de directeurs juridiques hurlant dans les couloirs à cause d’une simple erreur sans conséquences d’un collaborateur junior sont le quotidien de nombreux cabinets ou directions juridiques.

Pourtant, dans de nombreux domaines, l’erreur est une donnée non seulement acceptée mais intégrée. On parle ainsi d’erreur de calcul, de marge d’erreur, erreur de mesure…

Dans l’industrie, et notamment dans la R&D, la notion d’erreur fait partie du processus de développement : sachant que dans l’innovation les erreurs n’apparaissent que dans les phases de mise en œuvre, on fabrique d’abord un prototype pour observer les erreurs à petite échelle et en évitant les conséquences trop importantes.

Toutes les start ups (et votre interlocuteur est bien placé pour le savoir), passent leur temps à commettre des erreurs et à les corriger. Elles suivent le principe de sérendipité pour poursuivre leur route et continuer à innover.

C’est en fait l’erreur qui permet, par les enseignements qu’elle livre, d’atteindre le succès.

L’erreur permet innovation, agilité, responsabilisation et amélioration

Le droit à l’erreur permet ainsi l’innovation, mais également l’agilité, la responsabilisation et l’amélioration.

L’innovation, comme nous l’avons vu, mais aussi l’agilité qui permet la remise en cause des processus inutiles ou qui se périment. L’agilité permet également de prendre les décisions plus rapidement et plus simplement, car le droit à l’erreur de tous est accordé à tous et reconnu par tous.

La responsabilisation, car elle est le corollaire du droit à l’erreur. Si je me vois reconnu un droit à l’erreur, je peux alors assumer mes décisions et prendre mes responsabilités. Apprentissage et autonomisation ne sont possibles que là où est reconnu un droit à l’erreur.

L’amélioration enfin, car l’analyse de ce qui a conduit à l’erreur et la recherche de solutions pour ne plus la reproduire participent à l’amélioration de la production.

C’est ainsi que le transport aérien devient plus sûr après chaque accident. L’étude de ce qui s’est passé et la recherche de solutions permettent de prévenir la répétition de l’erreur, le plus souvent humaine dans ce domaine.

Instaurer la culture de la non punition et de la non culpabilité

Le droit à l’erreur évite que les collaborateurs ne planquent leurs erreurs ou ne tentent de rendre l’autre responsable. L’absence de droit à l’erreur conduit à des catastrophes potentielles, par la peur et le stress qu’elle font naître.

Pour que le droit à l’erreur devienne réalité, il est indispensable que la direction prenne les mesures pour instaurer une culture de la non punition et de la non culpabilité.

La non punition consiste à assurer les collaborateurs sur le fait qu’ils ne seront pas punis s’ils commettent une erreur. Pas de sanction en cas d’erreur, voilà la règle indispensable.

Ne pas punir est bien, ne pas culpabiliser est presque plus important car la culpabilisation peut se révéler bien pire que la peur de la sanction. Culpabiliser un collaborateur reviendrait ainsi à le tenir responsable de quelque chose de bien plus important que l’erreur effectivement commise. La culpabilisation conduit au repli, à la perte de confiance, à la dévalorisation du collaborateur et, enfin, à son désengagement.

Reconnaître que chacun peut faire des erreurs, y compris les chefs

Reconnaître que chacun peut faire une erreur, y compris les chefs, est en effet un des facteurs clés de l’engagement. Les Forces Spéciales l’ont bien compris et chaque mission est préparée, non pas par la hiérarchie, mais par l’ensemble des opérateurs impliqués dans la mission, ceci pour éviter des erreurs d’angle mort, inévitables s’il n’y avait qu’un seul décisionnaire. Le chef est, en revanche, chargé de diriger l’exécution de la mission.

Pour instaurer cette culture de la non punition et de la non culpabilisation, il faut que la direction soit elle-même la promotrice de cette culture et qu’elle soit exemplaire sur ce point : il lui faut donc s’appliquer avant tout à elle-même ces deux règles. A défaut, personne n’appliquera le droit à l’erreur.

L’entreprise et chaque responsable doivent reconnaître l’individu dans ses compétences pour que celui-ci accepte de ne pas cacher ses erreurs. Rien de pire qu’une infirmière qui s’est trompée dans l’administration d’un médicament et ne le dit pas de peur d’être sanctionnée. En cachant cette erreur, elle met en danger la vie du patient. Il en est de même en entreprise et il est de la responsabilité de chacun d’assumer ses erreurs.

Dès lors que le management infantilisera les collaborateurs ou ne reconnaîtra pas le droit à l’erreur, les moins assertifs chercheront par tous les moyens à la dissimuler. De surcroît, ils ne pourront pas s’en servir pour l’analyser et éviter de la reproduire.

De nombreuses études mettent en valeur que reconnaître ses erreurs, même pour un dirigeant, renforce son assertivité et la confiance que les autres vous portent.

Quelle réaction face à une erreur ?

L’exemplarité que se doit d’incarner la direction se manifestera principalement dans la réaction face à une erreur. S’il est préférable de ne pas exprimer ou laisser apparaître l’agacement voire la colère que peut provoquer la découverte d’une erreur, cela n’est pas toujours possible. Nous ne sommes pas tous égaux face à la gestion de nos émotions.

Même si l’émotion a pu être contenue, il est important de ne pas traiter l’erreur à chaud. Le responsable de l’erreur est nécessairement en stress et donc loin d’être dans les meilleures dispositions pour parler de l’erreur.

C’est donc à froid que l’on traite l’erreur. Il s’agit alors d’analyser ce qui s’est passé et de chercher à ne pas reproduire l’erreur.

L’erreur est donc utile… à condition de ne pas la reproduire

Si errare humanum est, perseverare diabolicum. Le droit à l’erreur a donc comme nécessaire contrepartie l’obligation de la rectifier.

Si l’erreur doit être acceptée et accueillie comme un mal nécessaire, la répétition de l’erreur relève, en revanche, de l’incompétence, de la faute, ou de l’incapacité à apprendre.

Si l’erreur est inévitable, sa répétition se doit en revanche d’être absolument évitée. La répétition de l’erreur relève, elle, de l’incompétence, de la faute ou du désengagement, voire du sabotage volontaire.

Pour éviter la répétition et capitaliser sur l’erreur, chaque erreur doit faire l’objet d’un processus d’analyse, de recherche de solutions et de mesures rectificatives à apporter.

Il est souhaitable de faire intervenir des personnes assez différentes dans ce processus : des personnes avec le sens de la précision et du détail pour la phase d’analyse, et des personnes créatives pour la phase de recherche de solutions. Les personnes sollicitées pour ce processus peuvent être choisies à la fois dans et en dehors du périmètre dans lequel s’est produite l’erreur, afin de pouvoir apporter un regard extérieur sur le sujet, ce qui présente deux avantages : ces personnes ne sont pas à l’origine de l’erreur et n’ont donc pas de sentiment de culpabilité, et n’étant pas parties prenantes au sujet, elles sont moins victimes de l’effet tête dans le guidon.

Travailler ses peurs et son ego

Accepter de se tromper, de commettre une erreur est difficile. L’école, notamment en France, nous a enseigné que pour éviter de revenir à la maison avec une copie pleine de rouge et de mauvaises notes, il fallait absolument éviter les erreurs.

Elle nous a peu enseigné que c’est parce que nous étions en phase d’apprentissage que nous étions nécessairement voués à commettre des erreurs. Elle nous a encore moins enseigné à nous inscrire dans un monde en mutation profonde et rapide qui nécessite de chacun de nous d’être en permanence en phase d’apprentissage sur de multiples sujets.

Ainsi, les dirigeants des grandes entreprises bénéficient d’un mentoring de la part de jeunes collaborateurs pour leur apprendre à utiliser les nouveaux outils. Les dirigeants deviennent ainsi eux-mêmes élèves et en condition de commettre de nombreuses erreurs… qui leur enseignent probablement à quel point l’erreur est inévitable et indispensable.

Cette confrontation à l’erreur nous incite et nous pousse à travailler nos peurs et mettre de côté notre ego pour mieux apprendre, en étant en posture d’humilité et d’apprentissage.

Passer de l’erreur à la réussite

Alors, pour faire de nos entreprises, de nos équipes ou de nos cabinets et études des organisations efficaces, agiles, innovantes, responsables et apprenantes, rien de mieux que de cultiver le droit à l’erreur et non l’erreur.

Comme le disait en effet Scott Adams, « La créativité consiste à vous autoriser à faire des erreurs. L'art consiste à savoir lesquelles conserver ».

Ce droit à l’erreur ne doit cependant pas être une simple autorisation à commettre des erreurs, mais un véritable droit, opposable par tous à chacun. Ainsi, le collaborateur pourra opposer ce droit en cas de culpabilisation ou de punition. Mais la hiérarchie pourra également opposer ce droit au collaborateur pour l’inciter à être responsable, à faire preuve d’initiative et de remise en cause.

L’erreur permettra alors à l’organisation d’innover, de se développer et de passer de la peur de l’échec à la réussite. Et nul doute que pour les collaborateurs, la qualité de vie au travail et s’en ressentira également.

direction juridique Organisation William Cargill Métiers du droit Deiceps

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