Le fossé se creuse entre magistrats et avocats
Le 28 juin dernier, le groupe de travail dirigé par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), la direction des services judiciaires (DSJ) et la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a rendu son rapport relatif à la protection des magistrats au ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. Un document qui met en cause la profession d'avocat et a provoqué la colère de ses institutions.
Selon ce document, les magistrats et l'institution judiciaire sont confrontés à une augmentation des menaces et des attaques à leur encontre, laquelle serait due au renforcement de l’action judiciaire ces dernières années. Le rapport pointe ainsi le "climat de plus en plus difficile" dans lequel exercent les juges, "marqué par des tensions importantes avec les mis en examen et certains avocats spécialisés en criminalité organisée" . Il ajoute que le renforcement "de l'arsenal législatif notamment en matière de saisie et de confiscation des avoirs criminels" et de l'efficacité de l'autorité judiciaire a "incité les avocats à se spécialiser et à adopter une défense beaucoup plus agressive avec l’institution judiciaire, dans un but évident de perturber le cours normal de la justice" . Et de préciser : "Ces stratégies de tension se diffusent désormais largement, y compris dans des barreaux qui n’étaient pas adeptes d’une défense de rupture, sous l’influence d’une part de quelques cabinets qui interviennent sur l’ensemble du territoire national, et d’autre part d’une nouvelle génération d’avocats qui n’hésitent plus à s’attaquer directement aux magistrats." Pour y pallier, le rapport propose "d'instaurer un dialogue régulier avec les instances représentatives des avocats afin d’évoquer les comportements susceptibles de caractériser des manquements aux principes éthiques et d’établir des mécanismes de prévention et de règlement des difficultés."
Spécialisation
Par ailleurs, le rapport met en cause l’absence de spécialisation des avocats qui assistent les magistrat attaqués, et préconise que soient désignés "des avocats bénéficiant des compétences requises pour assurer la mission qui leur est confiée dans le cadre de la protection statutaire" .
Réuni en assemblée générale les 1er et 2 juillet 2016, le Conseil national des barreaux (CNB) a vivement protesté contre les conclusions du rapport. Dans une motion adoptée à l'unanimité, il conteste l'objectivité du document "en ce qu'il dénonce des avocats trop spécialisés lorsqu'ils interviennent en défense et trop peu spécialisés lorsqu'ils assistent un magistrat dans le cadre du dispositif de la protection statutaire" .
Par ailleurs, si le CNB admet la nécessité d'approfondir le dialogue entre les institutions représentatives de la profession d'avocat et les juridictions, c'est uniquement afin d'évoquer "les comportements susceptibles de caractériser, de part et d'autre, des manquements aux principes déontologiques" des deux professions et "d'y apporter des réponses appropriées" . Dans cet esprit, l'assemblée générale a mandaté son président, Pascal Eydoux, pour rencontrer le garde des Sceaux. Objectif : rappeler au ministre que "toute mise en œuvre de mesures de bonnes conduites réciproques doit procéder d'une concertation constructive et respectueuse" , et que ces mesures doivent être "proportionnées et conformes aux principes de liberté et d'indépendance des avocats" .
Division
Encore plus virulent, le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a, quant à lui, publié un communiqué le 4 juillet dernier, dans lequel il se dit "scandalisé par l'image que donne ce rapport de ses confrères" . "Les avocats seraient présentés comme des menaces pour les magistrats. Cette affirmation se fait sans aucun fondement, aucune preuve, aucun témoignage" , déclare-t-il, avant de dénoncer : " Tandis que des menaces pèsent effectivement quotidiennement sur l'ensemble de la famille judiciaire, que de nombreux avocats sont également victimes d'intimidations, verbales voire physiques, ce groupe de travail fait manifestement le choix irresponsable de la division, montant les magistrats contre les avocats" .