Congrès des avocats : la Chancellerie cède "les clés de la profession" à Bercy
La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a été la grande absente du premier Congrès des avocats qui s’est tenu vendredi dernier à Paris. Ce, sur fond de fronde des avocats contre la réforme de l’aide juridique (AJ).
Le premier Congrès des avocats, qui remplace désormais l’Assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux (CNB), s’est tenu le 9 octobre 2015 à la Maison de la Mutualité à Paris. Une fois n’est pas coutume : le congrès s’est déroulé en présence du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, mais en l’absence de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui a préféré se rendre au conseil européen Justice et Affaires intérieures à Luxembourg. Tout un symbole, alors même que la profession d’avocat est très remontée contre le projet de réforme de l'AJ, porté par la Chancellerie.
La réforme de l’AJ au cœur des débats
À l’entrée, dès 8h30, des drapeaux de l’Union des jeunes avocats (UJA) et du Syndicat des avocats de France (SAF) avaient ainsi été déployés par des avocats en robe pour montrer leur opposition à l’article 15 du projet de loi de finances pour 2016. Ce dernier prévoit de ponctionner cinq millions d’euros en 2016 et dix millions d’euros en 2017 sur les intérêts des fonds placés par les Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (Carpa). Or, les représentants de la profession estiment contribuer déjà largement au dispositif de l’AJ, tout en étant mal rétribués.
Dans un discours « à la ministre qui n’est pas là », le président du CNB, Pascal Eydoux, a déploré que la Chancellerie n’ait pas envoyé d’interlocuteur à sa place. Il a fustigé l’action du gouvernement en matière d’AJ, qui « porte atteinte aux valeurs sociales » , et particulièrement le texte de Christiane Taubira.« L’État se décharge sur notre profession de la prise en charge financière de ses missions qui relèvent du service public », a-t-il estimé. Le ton grave, il a lu la délibération adoptée la veille à l’unanimité par l’assemblée générale du CNB qui invite tous les bâtonniers de France à cesser toute désignation au titre de l’AJ afin de « bloquer le système ».
La vague de la révolution numérique
Un peu plus tôt dans la matinée, dans son discours adressé au ministre de l’Économie, présent en début de congrès, Pascal Eydoux s’en est pris à la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Il a vivement critiqué les principales dispositions de l’article 51 qui concerne les avocats, dénonçant entre autres les « effets néfastes » de la suppression de la territorialité de la postulation des avocats, « contraire aux obligations professionnelles [des avocats] » et « inapplicable ». « Aucun bâtonnier ne peut commettre d’office un avocat qui n’est pas inscrit à son tableau », a-t-il précisé. Cette loi est également révélatrice, selon lui, sur le plan politique : « En raison de la dégradation endémique de l’état des finances publiques, nous constatons que les clés sont passées de la place Vendôme à la rue de Bercy. »
Pas de quoi déstabiliser Emmanuel Macron qui, une fois à la tribune, a défendu, point par point sa réforme. Et d'appeler ensuite la profession d'avocat à se tourner vers l'avenir plutôt que de ruminer le passé, en évoquant les « immenses défis » que représente pour elle la révolution numérique : « Il y a un gigantesque marché du droit qui est en train d’éclore aujourd’hui, sur Internet. La vague est partie et j’ai bien peur que le réveil soit douloureux. »
Ekaterina Dvinina