
Avocats d’une Afrique nouvelle
Cet article a été publié dans la LJA n° 1232 du 26 novembre 2015
Les prévisions de croissance du continent africain attisent les convoitises. Si les cabinets internationaux sont déjà bien implantés, ils rencontrent désormais face à eux de petites structures créées par des avocats qu’ils ont eux-mêmes contribuer à former.

En 2013, le cabinet Herbert Smith Freehills annonçait l’ouverture de son premier bureau à Conakry, en Guinée, pour finalement faire machine arrière. À l’époque of counsel à Paris, Salimatou Diallo, qui devait en prendre la direction, s’est alors retrouvée à la croisée des chemins. D’origine guinéenne et issue de la culture d’expatriées, elle a décidé de s’installer en tant qu’avocate indépendante sur place, et y a traité ses premiers dossiers pour Lovells puis Herbert Smith Freehills. « J’étais bilingue, j’avais l’expérience des grands cabinets, j’étais en position très compétitive sur le marché local », résume-t-elle. Alors que la Guinée engageait la réforme de son code minier, elle a rapidement prouvé qu’elle pouvait traiter seules des problématiques qu’elle avait déjà approfondies ailleurs. Deux ans plus tard, Herbert Smith a finalement choisi de s’installer à Johannesburg en Afrique du Sud (LJA 1228), et Salimatou Diallo a, de son côté, développé son propre cabinet. Lequel lui garantit aujourd’hui une belle activité combinée à un équilibre vie pri-vée / vie professionnelle qu’elle n’avait pas trouvé auparavant.
Relai local
À 35 ans, la jeune avocate fait partie de cette génération de lawyers, souvent bi-nationaux, qui a réussi à s’insérer dans la nouvelle chaîne de valeurs qui fait la croissance du continent africain. Certes, ces derniers sont encore peu nombreux et ne rencontrent pas toujours le même succès. Mais ils sont bien partis pour de-venir des acteurs majeurs du métier. Et ce, d’autant plus qu’une partie de l’activité des multinationales est aujourd’hui traitée au niveau local à travers des filiales dirigées par des cadres possédant également un bagage international.

Standards internationaux
C’est précisément ce créneau que développe depuis une petite dizaine d’années Mehdi M. Bennani au Maroc, à Casablanca. La ville est devenue – à l’instar de Dubaï – un hub où les firmes internationales s’installent pour profiter de la croissance d’un continent que l’on estime à 6 ou 7 % pour les dix prochaines années. Passé par Curtis Mallet Prévost et Bryan Cave à New York, Mehdi M. Bennani traite donc des contrats en direct ou en liaison avec des grands cabinets d’affaires qui cherchent un relais local pour leurs clients, capable de travailler selon leurs standards. En 2013, le cabinet marocain était ainsi le correspondant de Freshfields Bruckhaus Deringer lors des négociations entre Etilasat et Vivendi pour la reprise de Maroc Telecom. « Nous avons créé le premier cabinet indépendant d’Afrique du Nord », affirme Mehdi M. Bennani qui a également ouvert un bureau à Alger et Tunis. En Algérie justement, où le contexte est encore plus difficile pour les jeunes avocats, Foued Bourabiat a patiemment construit une structure aujourd’hui bien référencée. L’ex-collaborateur d’Herbert Smith a développé une approche axée sur une offre de service locale conforme aux standards internationaux, notamment dans les secteurs des télécoms et des transports.
Œuvre utile

L’idée de faire œuvre utile en travaillant en Afrique, en espérant bénéficier d’une réussite plus significative qu’à Paris ou à New York compte parmi les principaux facteurs de motivation de ces jeunes avocats. Reste à trouver sa place parmi les cabinets locaux et d’esquiver l’effet "plafond de verre" forcément redoutable dans une culture des affaires toujours sur-politisée. Installé à Kinshasa en République démocratique du Congo après avoir officié au cabinet Delhomme & Associés, Romain Battajon sait qu’il faut batailler pour trouver sa place dans un monde où les tradi tionnelles "relations privilégiées" entre les ex-colonies et la métropole n’ont plus cours. « La francophonie économique a plutôt une bonne image mais tout le monde s’est adapté à la nouvelle donne du business is business », reconnaît-il. Implanté depuis une dizaine d'années, Roman Battajon a bâti ce qui fait encore rêver ses jeunes collègues : un réseau juridique et pluri-disciplinaire panafricain dédié principalement au conseil et à l’accompagnement juridique, fiscal et administratif des investisseurs internationaux et opérateurs économiques, ainsi qu’au conseil en matière de business intelligence et risk management. L’avenir dira si le développement de ces nouveaux réseaux peut s’envisager sur l’Afrique entière ou dans une logique de sous-continents. La réponse tient en partie au développement futur des transports terrestres et aérien, à la progression de la couverture satellite globale et à la stabilité politique de la zone subsaharienne.
Antoine Couder