Connexion

Prix et stratégie prix

Par Olivier Chaduteau - Day One

Par le caractère intangible du service et de la prestation intellectuelle, définir le prix d’une mission ou d’un dossier s’avère relativement délicat. Dans un environnement extrêmement compétitif, une économie morose et des clients de plus en plus exigeants, informés, professionnels, allant jusqu’à mettre en place, pour les grands groupes, des directions « Achats » spécialisées dans l’achat de prestations intellectuelles, la notion de « prix » devient de plus en plus centrale et au cœur de la stratégie même des cabinets d’avocats.

Si, et il n’y a pas si longtemps que cela, les entreprises ne discutaient pas les tarifs de leur avocat (ce qui ne veut pas dire qu’elles n’en avaient pas l’envie), aujourd’hui, derrière chaque entreprise, il y a des hommes et des femmes dont le nouveau jeu consiste à systématiquement discuter les prix, que ce soit pour un produit de grande consommation, un bien d’équipement, ou une prestation intellectuelle ! Cette pratique, rapidement devenue « sport national », s’avère extrêmement dangereuse car le besoin de valeur ajoutée laisse alors vite place à la recherche du moins disant. Au-delà d’attaquer les marges des cabinets, un effet plus pernicieux de détérioration et de dévalorisation de la prestation d’un professionnel risque de s’installer dans les mentalités.

Ce phénomène a malheureusement très vite cantonné la variable « prix » dans un rôle d’outil compétitif, commercial, et non dans un rôle d’outil stratégique. La différence est majeure car le prix n’est dès lors pensé qu’en aval de la relation clients, indépendamment de toutes les autres variables du cabinet, de sa stratégie, de son positionnement et de son environnement.

Dès lors, le prix doit être stratégiquement pensé en prenant en considération les aspects financiers, marketing, commerciaux, humains et répondre à un double objectif : interne, parce qu’il doit permettre au cabinet de dégager de la rentabilité et assurer sa croissance, et externe, parce qu’il doit être acceptable par le client, « argumentable » par l’associé et en pleine cohérence avec le positionnement stratégique du cabinet et son image de marque.

Pour ce faire, nous proposons trois axes d’analyse :
- les coûts,
- la relation humaine,
- la valeur ajoutée perçue par le client.

Les coûts et le prix minimum
Pour établir leur prix de vente minimum, les cabinets appliquent généralement une stratégie cost plus qui consiste à additionner les « coûts globaux de production » et la marge du cabinet pour obtenir le « prix de vente de base ». En analysant plus en profondeur cette approche, quatre critères interdépendants de la constitution du prix doivent être étudiés : les coûts de production, le prix minimum (en deçà duquel le cabinet perdrait de l’argent), le « volume des ventes » et le prix de la concurrence. Analyser ses coûts, c’est le « connais toi toi-même » de la stratégie prix !
Pour un cabinet d’avocats, les coûts de production correspondent à la tarification horaire d’un associé ou collaborateur, aux salaires et charges diverses (locaux, fonctionnement, informatique…) qui déterminent le prix minimum, en dessous duquel le cabinet perdrait de l’argent. Dans cette optique, le suivi du taux horaire et du taux d'heures facturables constituent des indicateurs pertinents. A ce titre, on notera aussi que suivre précisément les activités non chargées des collaborateurs suivant différentes catégories (développement, relations publiques, recherche d’infos client, analyse de marché, innovation, formation, recrutement…) est aussi une source d’amélioration de la productivité et de la rentabilité.

Le prix et la relation humaine
Mais la réflexion sur le prix de la prestation d’un avocat ne se base bien évidemment pas uniquement sur des critères économiques, elle résulte aussi des objectifs stratégiques et humains du cabinet : fidéliser un client existant vs conquérir des nouveaux clients ? Développer sa rentabilité ? « Chaîner » sur un client, c'est-à-dire lui vendre une mission à un prix moyennement margé pour signer une autre mission avec lui ensuite ? S’agit-il d’une stratégie de conquête d’un nouveau compte prioritaire, auquel cas doit-on fixer un prix faible ? S’agit-il d’une problématique particulière qui nécessite un prix spécifique (crise, urgence…) ? S’agit-il d’une prestation amont à une mission beaucoup plus importante, c’est-à-dire un « produit d’appel » et auquel cas le prix pourrait-il être « nul » ?...
Ainsi, le choix des clients et la stratégie client doit être en amont de toute réflexion sur le prix, mais surtout, avant toute réflexion sur le fait de répondre ou non aux désormais fréquents appels d’offres organisés par les grandes entreprises.
Enfin, le prix des concurrents est un facteur déterminant dans le positionnement de son propre cabinet. En effet, au-delà de la différenciation par la qualité de l’offre, par le service, la tarification proposée par la concurrence constitue un indicateur, certes imparfait, de la valorisation de leur valeur ajoutée.

Le prix doit être proportionnel à la valeur perçue par le client
La prestation proposée par le cabinet doit avant tout être « personnalisée » pour répondre aux besoins spécifiques du client. Pour accepter le prix, le client doit identifier et reconnaître cette valeur ajoutée dans la prestation proposée. La reconnaissance de la valeur (valeur individuelle et/ou valeur du cabinet) peut permettre la différenciation vis-à-vis d’un concurrent au prix plus attractif mais dont l’offre ne répond pas aussi bien à la spécificité de la problématique du client. Le client choisit le cabinet/l’avocat qu’il estime être en mesure de lui apporter le plus de valeur ajoutée, ce qui ne veut pas forcément dire la consultation la plus technique. Et la valeur qui compte est bien celle qui est perçue par le client, pas celle qui est affichée par le cabinet ou communiquée par l’avocat. Etre sûr d’apporter la valeur optimale souhaitée et perçue par le client, c’est régler 90% de la problématique « prix ».
L’argumentation est alors sur le bon terrain, celui du rapport valeur/prix et non uniquement sur celui du « pourcentage de réduction possible » par rapport au « pourcentage de réduction proposé par le concurrent ». Car, la discussion autour du prix n’est jamais pertinente si elle est exclusive de toutes les autres données de la relation clients et de la valeur ajoutée perçue par celui-ci (écoute, personnalisation, technicité, pro activité, empathie, qualité, valeurs communes, marque…).