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Juriste et avocat : 10 conseils pour travailler efficacement ensemble (2de partie)

Par Anne Girard, Seenago

La relation de travail efficace et fructueuse entre juristes et avocats est un sujet qui imprègne l’activité quotidienne des uns comme des autres.

La confiance est le socle de cette relation et nous avons vu dans une première partie ("Juriste et avocat : 10 conseils pour travailler efficacement ensemble, 1re partie") que cette dernière s’établit au fil du temps sur la base de la crédibilité, de la fiabilité et de l’empathie. À partir de ce socle, peuvent se déployer les modalités pratiques et concrètes d’une relation de travail, qui se vit souvent à distance (et parfois à très longue distance, par exemple dans le cas d’un General Counsel travaillant aux États-Unis, alors que l’avocat français est basé à Paris). Établir des modalités de collaboration qui permettent de gagner du temps tout en respectant les contraintes de chacun et en ne compromettant pas la qualité du travail réalisé ne va pas de soi. Il s’agit parfois de moyens techniques mais surtout, le plus souvent, de cultures et de pratiques professionnelles différentes. C’est la raison pour laquelle poser les bases d’une collaboration efficace passe par un temps de mise au point des façons de travailler ensemble. Nous aborderons dans cette seconde partie : l’anticipation, la gestion des délais, la gestion des priorités, la prise de décision et le partage d’expériences.

Anticiper pour mieux se coordonner
La coordination du travail entre juriste et avocat est loin d’être toujours simple parce que l’un et l’autre ont d’autres activités à gérer dans leur quotidien professionnel. Souvent, le juriste attend de l’avocat que celui-ci anticipe (ou soit « pro-actif ») des tâches à accomplir ou des analyses à produire. L’anticipation se situe donc à deux niveaux : celui de l’action (l’avocat n’attend pas que le client lui demande de faire quelque chose : il devance sa demande, avec ou sans son accord) et celui de la réflexion. L’avocat, ayant une vision globale du ou des dossiers qu’il est en train de traiter, peut anticiper en prenant du recul sur la situation et en identifiant les problèmes potentiels aussi bien que les opportunités éventuelles. Mais cette approche – qualifiée souvent de « stratégique » – n’est pas nécessairement le domaine réservé de l’avocat ! Le juriste prenant le temps de s’y impliquer favorisera la coordination entre son travail (et celui de ses équipes) et les activités de l’avocat. Des séances de réflexion consacrées à l’analyse des risques et opportunités peuvent en outre être riches d’enseignement sur la façon de gérer un dossier ou une opération. Y convier des opérationnels de l’entreprise peut également s’avérer utile dans la mesure où ils peuvent fournir des informations dont n’a pas toujours connaissance le juriste.

Gérer ensemble les délais : maîtrise des calendriers et utilisation du rétroplanning
La gestion du temps est toujours un sujet délicat, voire une source de frustration de part et d’autre. Certains délais (en particulier ceux imposés par la loi et la réglementation ou par les institutions judiciaires) ne sont pas négociables. À ces échéances, s’ajoutent celles de calendriers propres à l’entreprise (clôture des comptes, réunions du conseil d’administration, du comité d’entreprise, validation des budgets prévisionnels, signature d’un contrat important, etc.) et dont l’avocat n’a pas toujours connaissance alors même qu’elles ont un impact direct sur la façon dont le juriste gère son temps et ses priorités. Avocat et juriste ont donc tout intérêt à échanger clairement sur ces différents calendriers, de préférence en amont d’un dossier ou au début de la relation de travail. Par ailleurs, pour une approche plus efficiente d’un dossier important, il est recommandé de travailler sur la base d’un rétroplanning faisant apparaître les délais incompressibles et les étapes-clés (milestones).

Fixer les priorités de façon rationnelle et réaliste
À la gestion des délais connus et prévisibles, s’ajoute celle de l’inattendu et des urgences. En la matière, les avocats se plaignent parfois de recevoir des demandes urgentes… qui n’en sont pas. Les juristes trouvent, quant à eux, que la réactivité de l’avocat doit encore s’améliorer. La définition d’une priorité est encore souvent subjective et non partagée. Le réalisme et la rationalité doivent prendre le pas sur l’émotionnel et l’absence de recul sur une situation. Il s’agit là d’un apprentissage de part et d’autre : le juriste doit apprendre à accueillir des événements, des situations ou des demandes de dernière minute, à évaluer rapidement le niveau de priorité en fonction de différents critères et à ne pas « sauter à la solution ». L’avocat, de son côté, sera plus efficace et pertinent s’il parvient à analyser la demande, tantôt floue ou confuse, tantôt trop directive, de son interlocuteur. En n’hésitant pas à poser les bonnes questions, il pourra choisir non seulement le format le plus adapté pour sa réponse mais également déléguer, le cas échéant, à son équipe le travail à faire afin de répondre le mieux possible à la requête du client.

Clarifier le processus de prise de décision
Pour certains dossiers ou dans certaines opérations, la prise de décision est un facteur-clé de succès ou d’échec. Si plusieurs personnes dans l’entreprise doivent statuer sur une décision, le temps nécessaire à la réflexion, l’analyse, aux éventuelles discussions et validation formelle, doit être pris en compte dans le rétroplanning. Pour faciliter ce processus, l’avocat et le juriste ont souvent un travail de préparation à mener. À un autre niveau, l’avocat est régulièrement en situation de formuler des recommandations au juriste. Plus ces dernières sont claires et montrent l’ensemble des critères et des options considérées, plus la prise de décision est facilitée. Le juriste, de son côté, a tout intérêt à demander à son avocat de mettre en forme de façon pédagogique et simple ses avis ou conseils sur un choix à faire, avec une analyse des risques intégrant l’ensemble des paramètres à considérer. La question de l’opportunité de faire appel d’une décision de justice, par exemple, peut sembler simple d’un point de vue juridique mais complexe si l’on considère la réputation de l’entreprise ou d’autres facteurs plus « business ». Plus l’avocat et le juriste se comprennent sur le contexte et la situation, plus la décision aura des chances d’être équilibrée.

Partager les expériences : débriefing et formation
Dans une relation de travail collaboratif, tirer des leçons des expériences passées est toujours une bonne façon de renforcer la confiance et d’améliorer l’efficacité. « Comment pouvons-nous faire mieux ensemble ? » est une question à se poser de façon régulière et systématique. Il ne s’agit pas seulement pour l’avocat de demander à son client s’il est satisfait : cette information n’est utile que si elle permet concrètement de modifier certains aspects de la relation de travail qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, que ce soit dans la façon de communiquer, d’échanger des informations, de gérer les urgences, etc. Tout n’est pas qu’une question de moyens ou de ressources : la méthode et le processus, ainsi que l’état d’esprit dans lequel on collabore sont tout aussi importants. Le débriefing entre juristes et avocats, à l’issue d’une année ou d’un semestre de travail ou après une opération importante, n’est jamais du temps perdu s’il permet de gagner en efficacité pour la prochaine fois. Enfin, le partage d’expériences est aussi l’occasion de se former mutuellement, sur un sujet ou une problématique spécifique. Certains cabinets d’avocats l’ont bien compris et invitent régulièrement leurs clients à réfléchir et témoigner avec eux et à leurs côtés à l’occasion de conférences ou tables-rondes. Les entreprises, de leur côté, convient leurs avocats à organiser des formations internes qui sont l’occasion d’échanger pour mieux travailler ensemble.