Connexion

Retrait d’un associé d’un cabinet d’avocats : attention aux manœuvres déloyales

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1380 du 14 janvier 2019
Par Francis Teitgen, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris.

Comme toute entreprise, les cabinets d’avocats connaissent des mouvements en interne. Un associé qui part, une équipe qui arrive, des fusions, des scissions, bref toutes ces opérations qui font la vie d’une structure d’exercice.

Au-delà de l’application des règles de droit commun qui régissent nécessairement ces opérations, apparaissent des spécificités puisqu’il s’agit d’une profession réglementée marquée par une déontologie particulièrement exigeante.

Nul ne peut rester prisonnier de ses parts. Ainsi, tout associé peut quitter une structure d’exercice. Ce droit est encore renforcé par l’application du principe de la liberté de choix par l’avocat de son mode d’exercice. Il s’agit simplement ici d’une déclinaison du caractère libéral de la profession d’avocat.

Tout avocat peut se retirer de la structure au sein de laquelle il exerce, mais pas n’importe comment. Et la structure ne doit pas ériger des obstacles qui rendraient impossible l’exercice du droit de retrait.

Une exécution irréprochable par chacun de ses obligations durant la période de prévenance est la meilleure garantie d’un retrait insusceptible de critiques.

En ce qui concerne la clientèle, la règle est simple : le client dispose d’une liberté absolue du choix de son avocat. Cette règle est cardinale. Elle est au cœur même de la relation intuitu personae entre le client et l’avocat, caractère dont découlent les principes les plus importants de l’exercice de la profession : secret professionnel, conflits d’intérêts, devoir de modération, d’humanité et de délicatesse…

Evidemment, le choix du client doit s’exercer librement. Pour cela, le retrayant doit impérativement respecter son devoir de loyauté à l’égard de son ancienne structure. En cas de manquement, l’action en concurrence déloyale est ouverte au cabinet délaissé afin de faire sanctionner les actes illicites qui lui auraient causé un préjudice.

Mais là encore faut-il nuancer. Par exemple, le démarchage de la clientèle, y compris de son ancien cabinet, n’est pas interdit à un avocat. Mais attention, pas de manœuvres déloyales ! En présence de telles manœuvres, la responsabilité du retrayant peut être engagée, mais également celle du cabinet d’accueil. La Cour de cassation a jugé « qu’un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, générateur d’un trouble commercial fût-il seulement moral » (Cass. Civ. 1re, 21 mars 2018, n°17-14.582). Ainsi, dès lors que l’acte déloyal est démontré, le préjudice s’en évince.

La manœuvre déloyale peut aussi résulter de la volonté du retrayant de désorganiser le cabinet de manière anormale. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’un retrait collectif qui a pour effet d’amputer le cabinet d’une part importante de ses ressources humaines et de son chiffre d’affaires. Mais, par définition, tout retrait à cet effet. C’est pourquoi, la jurisprudence applique le critère de l’anormalité de la désorganisation causée au cabinet.

Par exemple, la cour d’appel de Paris a retenu la faute d’avocats membres d’un cabinet qui rejoignent un cabinet concurrent dans la même ville en ayant pris soin d’organiser le départ concomitant de plusieurs associés et collaborateurs du bureau, de travailler pour le compte d’un concurrent alors même qu’ils sont encore dans l’exécution du délai de prévenance, de laisser brutalement chuter la facturation, les encaissements et le chiffre d’affaires (CA Paris, Pôle 2 Ch. 1, 17 oct. 2018 n° 15/21401).

La conclusion s’impose : le retrait d’un associé est toujours possible, mais chacun doit scrupuleusement respecter les principes essentiels et s’interdire toute manœuvre déloyale.

Avocats Ordre des avocats de Paris cabinet d'avocats Francis Teitgen Associé LJA1380 Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris