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Médecin du travail et certificats tendancieux : l’employeur peut déposer une plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1361 du 24 août 2018
Par Deborah Fallik Maymard, avocate associée, cabinet Redlink

Le Conseil d’État a rappelé par un arrêt rendu le 6 juin 2018 (n° 405453) les limites du pouvoir du médecin du travail dans l’établissement des certificats médicaux au profit des salariés.

Le contexte

Un médecin du travail avait établi un certificat au profit d’une salariée que cette dernière avait produit en justice dans le cadre d’une instance prud’homale initiée contre son employeur.

Au sein de ce certificat, le médecin du travail a mentionné des faits qu’il n’avait pas personnellement constaté et a fait état d’un « enchaînement délétère de pratiques maltraitantes » de la part de l’employeur.

L’employeur, s’estimant lésé par une telle mention a déposé une plainte contre le médecin du travail devant le Conseil de l’ordre des médecins.

La recevabilité de la plainte initiée par l’employeur

Même si cela n’est pas nouveau, le Conseil d’État a confirmé la décision du Conseil de l’ordre des médecins et a rappelé que l’employeur, en application de l’article R.4126-1 du Code de la santé publique, était recevable pour initier une telle plainte. En effet, cet article dresse une liste non limitative de personnes susceptibles d’engager d’une action disciplinaire à l’encontre d’un médecin.

Le Conseil d’État rappelle que la délivrance, par un médecin du travail, d’un certificat médical à un salarié de l’entreprise dans laquelle il exerce ses fonctions ne revêt pas le caractère d’un acte de fonction publique accompli par un médecin chargé d’un service public impliquant, en application de l’article L. 4124-2 du Code de la santé publique, que le médecin ne puisse être attrait devant la chambre disciplinaire que par une liste limitative de personnes publiques (excluant l’employeur).

Ainsi, le Conseil d’État rappelle que :

D’une part, le médecin du travail ne réalise pas un acte de fonction publique lorsqu’il établit un certificat médical au profit d’un salarié,

Et, d’autre part, l’action de l’employeur est recevable dans la mesure où ce dernier est lésé de manière suffisamment directe et certaine par le certificat médical tendancieux.

L’interdiction des certificats tendancieux

Si l’article R.4127-76 du Code de la santé publique autorise les médecins à établir des certificats, l’article R.4127-28 du même Code précise que la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite.

Ainsi, en application de ce texte, le Conseil de d’État a confirmé la décision du Conseil de l’ordre et a rappelé que le médecin du travail :

avait pris part au bien-fondé d’un droit de retrait exercé par la salariée exercé 8 mois plus tôt sur un site que le médecin ne connaissait pas,

avait laissé entendre que l’employeur ne respectait ses obligations en termes de protection de la santé des salariés sans préciser les éléments qui le conduisaient à une telle suspicion et qu’il aurait été à même de constater,

avait fait état de pratiques maltraitantes sans là encore faire état de faits qu’il aurait pu lui-même constater.

Le médecin du travail a méconnu les dispositions issues de l’article R.4127-28 du Code de la santé publique en faisant état de faits dans le certificat qu’il n’avait pas personnellement constaté. Si la sanction du médecin, un avertissement en l’espèce, est relativement légère, elle permet surtout à l’employeur de se défendre dans le cadre de l’instance prud’homale initiée par la salariée et d’écarter le certificat médical litigieux.

Évidemment, la solution aurait été toute autre si le médecin du travail avait rédigé le certificat au conditionnel, en rapportant les faits allégués par la salariée, ou s’il s’était déplacé sur site pour faire état de faits qu’il avait personnellement constaté.

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