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Le temps des secrets est-il révolu ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Hebdo du 3 septembre 2018
Par Hortense de Roux, associée et Aurélien Zilberman, cabinet Ashurst.

L’actualité législative et judiciaire laisse penser que la soif actuelle d’une plus grande transparence va triompher de tous les « secrets ». Il en est ainsi du secret des affaires dont la définition vague et les exceptions importantes prévues par la récente proposition de loi nous font dire que l’objectif de protection des données sensibles des entreprises n’est pas atteint. Il pourrait en être de même du secret professionnel de l’avocat chargé d’une enquête interne.

Les positions opposées de l’Ordre des avocats de Paris et de l’Agence Française Anticorruption (AFA) et l’affaire du « Dieselgate » en Allemagne laisse planer un sérieux doute dont il convient de prendre toute la mesure.

Avec le renforcement des obligations des entreprises en matière de prévention et de conformité (« compliance ») à la suite de l’adoption de la loi dite « Sapin II », l’activité de l’avocat chargé de la conduite d’enquêtes internes au sein d’entreprises s’est considérablement développée. Preuve en est, le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris a voté le 13 septembre 2016 la création d’une annexe XXIV au Règlement Intérieur du Barreau de Paris (RIPB) intitulée « Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne ».

Plusieurs hypothèses peuvent justifier une enquête interne pour une entreprise. Lorsqu’elle est mise en place parallèlement à une procédure initiée par une autorité administrative ou judiciaire, elle poursuit un objectif de véritable coopération avec ladite autorité. On observe alors une mutation de la mission de l’avocat, inspirée par le modèle anglo-saxon, où l’avocat qui défend cède le pas à l’avocat qui dialogue et dont l’intervention consiste à aider l’entreprise à coopérer activement avec les autorités.

La mission de l’avocat débouche le plus souvent sur la rédaction de procès-verbaux d’audition, voire de rapports d’enquête qui seront ensuite adressés à l’entreprise. Ce sont ces documents qui peuvent particulièrement intéresser les autorités, mais sont-ils couverts par le secret professionnel ?

Pour les instances ordinales, cela ne fait aucun doute. L’annexe XXIV du RIPB l’énonce expressément. Du côté de l’AFA, en revanche, la position arrêtée est différente. Selon son directeur, Charles Duchaine, interrogé sur ce point lors du Global Anti-corruption & Compliance Summit le 20 mars 2018, l’AFA dispose d’un droit de communication (article 4, Loi Sapin II) et peut demander à l’entreprise de produire tout document pour mener son enquête, y compris les documents établis par ses conseils.

Outre-Rhin, le débat a récemment été relancé par une décision de la Cour Fédérale Constitutionnelle allemande du 6 juillet 2018, par laquelle ont été validées les saisies de documents effectuées par les enquêteurs allemands au sein du cabinet d’avocats engagé par Volkswagen et Audi pour mener des investigations internes.

Cette décision interpelle d’autant plus que la confidentialité des échanges entre un avocat et son client est largement reconnue en Allemagne, à l’instar du système français, et que les perquisitions menées au sein des cabinets d’avocats allemands sont particulièrement rares. Les auteurs soulignent que cette décision semble aller dans le sens d’une définition restrictive des droits de la défense, dont les documents établis par les avocats dans le cadre d’enquêtes internes pourraient être exclus.

Reste à espérer que la conception française du secret professionnel qui prévoit bien que ce dernier est « général absolu, et illimité » et s’applique tant au domaine du conseil que de la défense, résistera à cette interprétation excessivement restrictive.

En effet, face à une protection insuffisante du secret des affaires des entreprises françaises, il est important que ces dernières puissent conserver une relation de confiance avec leurs conseils, garantie par le secret professionnel. 

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