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Le procès est-il encore la chose des parties ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°°1366 - du 01 octobre 2018
Par Béatrice Brugués-Reix, avocat, cabinet Dentons et membre du Conseil de l’Ordre.

Le projet de filtrage des pourvois, évoqué au moment de la loi Justice du XXIe siècle, puis retiré par le gouvernement en raison des réticences des députés, suscite à nouveau de vives oppositions auprès de ceux qui refusent une réforme du mode de traitement des pourvois et ses partisans soucieux que la Haute juridiction se recentre sur son rôle de Cour suprême, quitte à délaisser son exercice traditionnel.

Rassurons-nous, ce projet porté par Bertrand Louvel, son premier président, n’a pas été intégré au projet de loi Justice.

Sur le modèle des cours suprêmes des pays anglo-saxons ou de la Cour européenne des droits de l’Homme, le pourvoi en cassation serait soumis à autorisation préalable en fonction de trois critères alternatifs, à savoir :

1. l’affaire présente un intérêt pour le développement du droit ;

2. elle soulève une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence ou ;

3. elle cause une atteinte grave à un droit fondamental.

Ce filtrage, qui ne concernerait que la matière civile, serait réalisé par une formation ad hoc, constituée au sein même de la chambre qui connaît la matière concernée par la décision critiquée.

Pour faire taire ceux qui pointaient que ce projet de filtrage serait motivé par une logique gestionnaire tendant à la diminution du volume des dossiers, le rapport annuel 2017 de la Cour de cassation souligne que la finalité recherchée de ce projet de filtrage serait de « juger moins pour mieux juger ».

La logique gestionnaire n’a pas sa place ici : la Cour de cassation reçoit en moyenne un peu plus de 20 000 pourvois par an en matière civile (ce qui est relativement faible comparé à la population française ) et prononce environ 27 % de cassations, à savoir un peu plus de 5 000 pourvois accueillis par an. Les 73 % restants des pourvois sont donc voués à l’échec. En outre, le nombre de pourvois est stable puisqu’il était de 20 420 en 1996 et de 20 398 en 2016. Quant au délai de traitement des pourvois il est depuis 2015 de 15 mois et sa projection pour 2020 est identique.

Sans jouer sur les mots, il est tout de même question de rédiger moins mais rédiger mieux afin d’accorder à ces arrêts un plus grand rayonnement.

En pratique, la Cour de cassation adopterait le système anglo-saxon du « cherry picking » c’est-à-dire de présélection discrétionnaire des affaires par les juges. Les justiciables seraient alors les premières victimes de cette réforme en perdant leur droit à former un pourvoi.

Or, le recours en cassation doit rester pour les justiciables une garantie fondamentale. La possibilité d’exercer une voie de recours est une composante des droits de la défense et du procès équitable.

Le droit à un recours juridictionnel est lié à l’accès au juge. Il concourt à l’intérêt du justiciable et à une bonne administration de la justice.

Que ce soit en appel ou en cassation, le justiciable est en droit d’attendre d’une justice efficace et effective d’être entendu et sans filtrage !

Gageons que ce projet ne voie donc jamais le jour.

conseil de l'Ordre Procès Dentons LJA1366 Bertrand Louvel Béatrice Brugués-Reix