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La requalification du contrat d’agent commercial en contrat de travail : un risque limité

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1369 du 22 octobre 2018
Par Alexis Chabert, associé, Delsol Avocats, et Edouard de Mellon, collaborateur, Delsol Avocats

Si le statut d’agent commercial régi par les articles 134-1 et suivants du Code de commerce permet de bénéficier d’une indemnité de fin de contrat parfois substantielle, beaucoup tentent d’obtenir auprès des juridictions la requalification de cette relation commerciale en relation salariée afin de bénéficier d’un régime potentiellement plus favorable.

Selon la jurisprudence, l’existence d’une relation de travail ou d’un contrat d’agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions concrètes dans lesquelles l’activité est exercée 1.

Le critère de requalification est l’existence d’un lien de subordination permanent à l’égard du mandant, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. Or, l’expérience montre que le mandat est souvent exécuté dans un cadre et selon des règles définies et contrôlées par le mandant…

La requalification n’est cependant pas aussi aisée qu’on pourrait le penser, les dispositions de l’article 1993 du Code civil prévoyant bien que le mandataire doit rendre compte de sa gestion, impliquant que des consignes ou des instructions soient données par le mandant et qu’un contrôle soit exercé. De fait, une étude statistique, réalisée grâce aux outils d’analyse de jurisprudence proposés par certaines LegalTech, démontrerait un taux de succès n’excédant pas 4 % depuis 2 ans ce qui pourrait permettre de relativiser le risque.

La cour d’appel de Nancy 2, a ainsi récemment rejeté une demande de requalification au motif que l’agent n’était pas soumis « à des consignes, instructions, contrôles ou horaires de la part de la société qui dépassaient le cadre de ceux et celles exigés par le contrat de mandat au point de caractériser un lien de subordination », après avoir retenu que « le fait pour la société d’avoir exigé une participation régulière à des réunions, entre dans le pouvoir normal de contrôle du mandataire ». La cour d’appel de Paris a quant à elle rappelé 3 que « le travail au sein d’un service organisé » constitue seulement « un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ».

La Cour de cassation 4 vient cependant de valider une requalification du contrat au motif que l’agent « travaillait dans les locaux de la société, qu’il apparaissait sur ses courriels, son papier à lettre et ses cartes de visites comme appartenant à cette dernière, était intégré dans l’organisation du travail de celle-ci, et qu’il exerçait son activité sous les ordres et le contrôle du président auquel il rendait des comptes, percevant une rémunération mensuelle fixe », montrant qu’en définitive c’est l’accumulation de ces indices du lien de subordination, traduisant un véritable excès de pouvoir pour imposer un contrôle total et permanent à l’agent, qui conduira à une requalification.

La cour d’appel de Paris 5 vient également de requalifier un contrat après avoir constaté une telle accumulation d’indices : intégration au sein d’une équipe et d’une hiérarchie ; travail selon les directives du supérieur ; activité et résultat contrôlés ; rémunération fixe mensuelle ; bureaux et poste de travail complets dans les locaux de l’entreprise ; travail à temps complet dans les locaux ; etc.

Il demeure donc utile de mettre en place des règles de fonctionnement permettant de limiter ce risque, en ayant au besoin recours à un conseil qui préconisera les méthodes les plus adaptées au fonctionnement de l’entreprise. 


Notes :



(1) Com. 21.06.2016, 14-26938
(2) CA Nancy, 21.03.2018, n°17/02324
(3) CA Paris, 20.03.201816/12588
(4) Soc. 14.02.2018, n°16-15640
(5) CA Paris, 29.08.2018, n°15/10749

Delsol Avocats LJA1369 Edouard de Mellon Alexis Chabert Agent commercial