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Que reste-t-il de la confidentialité des échanges avocat-client ?

Par Anne Portmann

Le nouveau garde des Sceaux, l’ancien avocat Eric Dupond-Moretti, a affirmé vouloir renforcer la protection du secret professionnel de l’avocat, et a reçu des propositions de la commission Perben en ce sens. Régulièrement remise en cause par l’autorité judiciaire, mais également par les autorités de régulation de plus en plus intrusives, quelles précautions et quels réflexes devaient être adoptés par les avocats et par leurs clients pour préserver la confidentialité de leurs échanges ?

A lire - L’avocat enquêteur interne, quel secret ?

«Le secret est mort. Il nous reste le silence. Mon propos est volontairement excessif mais colle à la réalité judiciaire. D’où l’impérieuse nécessité de la contestation du Bâtonnier ». Vincent Nioré, candidat au vice-bâtonnat de Paris, ne mâche pas ses mots sur ce qu’est devenu le secret professionnel de l’avocat, tout en saluant les récentes propositions du rapport Perben visant à le renforcer. La confidentialité est un thème incessamment contesté, débattu, et ce depuis que, sous la IIIe République, les avocats ont obtenu le droit d’assister leurs clients devant le juge d’instruction. François Saint-Pierre, auteur du Guide de la défense pénale et de Pratique de défense pénale, le note : « Le principe de la libre défense commande de respecter les confidences des clients faites aux avocats qu’ils choisissent ou qu’ils veulent choisir ». Force est de constater qu’à chaque époque, à chaque évolution technologique, la question se repose. En dépit des textes, qui peut encore croire au caractère absolu et d’ordre public du secret de l’avocat ? Quels réflexes peut adopter l’avocat pour garantir à son client le respect du secret ? Et comment peut-il inciter ce dernier à la prudence dans ses rapports avec les tiers ?

> Nicolas Tollet

Les atteintes à la confidentialité des échanges

Selon Vincent Nioré, « Le secret professionnel de l’avocat en matière pénale est mort avec l’arrêt Herzog du 22 mars 2016 et en matière de conseil avec certaines jurisprudences de quelques JLD ». Et on aura beau jeu d’ergoter sans fin sur le point de savoir si un échange entre un avocat et son client est couvert par le secret car « strictement nécessaire à la défense pénale », ce qui n’est jamais évident, car il semble se réduire même dans ce dernier cas. « Le secret ne tient pas en cas de perquisition et la foi du Palais, qui n’est pas à proprement parler un secret, mais une obligation de discrétion, convenue avec le magistrat, se retourne toujours contre l’avocat si l’engagement pris au nom du client n’est pas respecté », explique l’avocat. François Saint-Pierre considère quant à lui que, bien avant l’arrêt de 2016, c’est le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, dans le dossier Boulin, qui a cassé le tabou de l’interdiction d’écouter les conversations téléphoniques entre l’avocat et son client. « La Cour de cassation a alors validé la possibilité de mettre sur écoute les personnes inculpées, comme on disait alors, sauf stratagème. Dès lors les clients savaient qu’ils ne pouvaient parler avec leur avocat sans risque d’être écoutés et les avocats également. L’impact psychique sur les avocats a été tel, qu’ils se sont autocensurés ». Il rappelle les batailles menées par les avocats dans les années 90, contre les magistrats financiers, jusqu’à ce que la Cour de cassation distingue les activités de conseil de la défense pénale, seule couverte par le secret. Elle a ensuite décidé que pour qu’il y ait défense pénale, donc secret, il fallait que des poursuites soient engagées. « Il n’existe donc aucune protection dans le cadre d’une enquête préliminaire », constate-t-il. Le rapport Perben propose d’ailleurs de renforcer la protection du secret, notamment en conférant au juge des libertés et de la détention (JLD) un rôle plus important, mais aussi en garantissant une protection équivalente, tant dans le domaine du conseil que dans celui de la défense.

À l’international

En France, le Conseil Constitutionnel a jugé que le secret de l’avocat n’avait pas valeur constitutionnelle. Dans l’arrêt Michaud c/ France, du 6 décembre 2012, la CEDH a également refusé la protection de la Convention au secret, admettant même sa violation, tant qu’il ne conduisait pas à l’auto-incrimination de l’avocat. Pourtant, Stéphane de Navacelle, avocat à Paris et à New-York, estime qu’au plan international, le pays des droits de l’Homme devrait donner de la voix sur ce sujet essentiel de la défense de la confidentialité des échanges. « Les français ont la légitimité et une vraie crédibilité, une carte à jouer sur le marché international. Il faut soit renforcer le secret professionnel de l’avocat, soit supprimer la responsabilité pénale des entreprises », résume-t-il, constatant que même dans la sphère de la défense pénale, surtout celle des affaires, la confidentialité des échanges n’est qu’un tigre de papier. Il souligne qu’au plan international, le secret de l’avocat est souvent considéré comme le dernier refuge des pratiques criminelles qu’il faut donc tout faire pour briser. « La Banque mondiale estime ainsi que sans secret professionnel, il n’y aurait pas de corruption et l’OCDE fait écho, considérant également que sans secret professionnel, il n’y a pas de blanchiment ». Nicolas Tollet, associé du cabinet Hugues Hubbard et avocat, lui aussi, aux barreaux de Paris de New-York, observe toutefois qu’à l’inverse de la France, il existe aux États-Unis un vrai respect de la confidentialité et que les perquisitions dans les cabinets d’avocats y sont extrêmement rares. Cette différence de culture peut être une difficulté dans les dossiers transnationaux, car les américains ne demandent plus la production de documents couverts par le secret, alors que c’est une attente en France. « C’est un problème car lorsque ces documents couverts par le secret sont produits dans la procédure française, les américains estiment qu’ils doivent aussi être transmis à l’autorité de poursuite américaine ». Et d’appeler à une nécessaire harmonisation, notamment dans le cadre des procédures négociées lorsqu’elles sont coordonnées.

> Vincent Nioré 

Pénurie de moyens

Comme bien souvent en matière de justice, la question pourrait se réduire à celle des moyens.

« Lors d’une formation commune entre magistrats, avocats et juristes d’entreprise, les premiers ont déclaré que si le secret professionnel fonctionnait comme le voudraient les avocats, il faudrait doubler le nombre de magistrats professionnels. Ils ont prédit qu’il faudrait notamment 10 fois plus de JLD pour contrôler les saisies lors des visites et des perquisitions. », se souvient Stéphane de Navacelle. Il poursuit : « Lors des perquisitions, il faudrait donner à la justice les moyens de faire des contrôles et de faire du tri, dès la saisie de documents, que ce soit chez l’avocat ou chez le client et d’interdire la saisie des échanges confidentiels ». À cet égard, les magistrats brandissent volontiers l’existence d’« obstacles techniques » obligeant les enquêteurs à saisir des « blocs » (messageries, disques durs, etc.), qui empêcheraient, par la suite, de retirer des scellés les documents confidentiels faisant partie du lot1. D’aucuns pointent à cet égard l’inadaptation des dispositions actuelles, prévues pour des saisies de documents papier2. Et rappellent qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, la violation du secret professionnel est constituée dès la saisie des documents couverts par le secret.

> Stéphane de Navacelle

L’éducation à la culture du secret

Les avocats doivent surtout évangéliser leurs clients et leur apprendre à respecter des règles de prudence élémentaires pour préserver la confidentialité de leurs échanges. Les robes noires elles-mêmes doivent revoir leurs habitudes. « Ce qui compte en pratique au quotidien, c’est évidemment de s’astreindre par principe au silence face à l’intrusion étant rappelé que le silence est un état de fait et un droit », estime Vincent Nioré, qui considère que c’est à ce prix que l’avocat préservera les confidences de son client. Pour Stéphane de Navacelle, « en France, on a longtemps considéré que le risque juridique était nul eu égard au faible poids économique des exportations, et à la faiblesse des sanctions : peu d’amendes, peu de condamnations, jamais d’incarcération pour un délit boursier. Mais les choses ont changé. Le premier devoir du directeur juridique est aujourd’hui d’éduquer le chef d’entreprise à la discipline du secret et du silence. Il n’est pas possible de diriger une entreprise, même de taille modeste sans être rompu à cette culture ». Les enjeux en matière de secret des affaires et la protection contre l’espionnage privé, de plus en plus prégnants, sont sans doute la voie pour sensibiliser les entreprises à la confidentialité. « J’utilise beaucoup plus les services des coursiers, les réunions physiques », témoigne Stéphane de Navacelle, qui incite ses clients à faire de même. Vincent Nioré déconseille quant à lui à ses confrères de se rendre chez leurs clients pour discuter de leur dossier, ce sont ces derniers qui doivent venir à lui. « C’était la pratique traditionnelle, jusqu’à la fusion avec les conseils juridiques, qui ont poussé les avocats à sortir de leurs cabinets. Mais l’avocat qui le fait prend un risque car dans certains cas de criminalité organisée, il est possible de sonoriser des lieux privés pour y recueillir des paroles confidentielles ». Selon lui, il faut également éviter d’échanger par smartphone, « car c’est tout sauf un téléphone : c’est une encyclopédie d’informations confidentielles et c’est surtout un véritable cabinet d’avocat mobile et dématérialisé qu’il faut protéger. Je pars du principe que tout ce que j’écris à mon client est saisissable chez lui ». Le pénaliste va encore plus loin. « Dans certains dossiers, je ne prends aucune note. Je conviens dans certains dossiers isolés d’un protocole de communication avec le client, je lui explique que je ne noterai rien et qu’il devra parfois me redire les choses. Je lui explique que lui non plus ne doit rien écrire et ne laisser aucune trace écrite de nos échanges ». Utilisateur des applications Telegram et Signal, l’avocat déconseille WhatsApp qu’il qualifie de « piège ». « C’est pratique pour échanger des pièces, mais tout reste stocké dans le téléphone et les enquêteurs et magistrats ressuscitent systématiquement des informations effacées ». Mais ces précautions n’emportent pas la conviction de tous. François Saint-Pierre s’explique : « Tout ce qui est crypté peut être décrypté, d’une part. D’autre part, je revendique de pouvoir utiliser, dans ma pratique quotidienne, les nouveaux outils technologiques qui la facilitent. Je ne veux pas me cacher, ou m’interdire d’utiliser Internet. Je préfère avoir la garantie que ce que j’échange avec mon client sera protégé, quoiqu’il arrive Je revendique la confidentialité pour la liberté de la défense »

1. Cass. Com, 8 mars 2016, n° 14-26.929.
2. Voir l’intervention d’Eric Russo, premier vice-procureur au PNF, lors du colloque Legal Privilege et secret professionnel des avocats, organisé par l’association France Amériques en 2017.

Éric Dupond-Moretti Dominique Perben Vincent Nioré François Saint-Pierre Conseil constitutionnel CEDH Nicolas Tollet Hugues Hubbard & Reed Stéphane de Navacelle