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Tout remettre en question ou tout re-questionner ?

Par Emmanuelle Vignes

« Je dirige un groupe de pratique au sein de mon cabinet. Je suis responsable de l’élaboration et de la dynamique de notre stratégie de développement. En ce moment, je me sens incapable de prendre une décision, de mettre en place des actions. Je me pose plein de questions. Ma réflexion est vécue comme une forte inertie, ce qui provoque des tensions au sein du cabinet. Quelle est la bonne attitude à adopter ? Est-ce que je me prends trop la tête ? »

A chaque saison, son rythme

« Il y a un temps pour tout » disait l’Ecclésiaste. Un temps pour semer et un temps pour récolter. Un temps pour élaborer, questionner, collecter, penser, visionner et repenser. Et puis il y a un temps pour agir et mettre en place. Ces phases ont des tempos différents. Il arrive parfois que nous soyons dans un temps plus lent. Un temps de réflexion, de mise en place, de semence. En apparence, les choses ne se font pas. En fait, elles germent. Parfois, nous sommes, malgré nous, en « jachère ». Et puis, on oublie – ou on méconnaît - que ce temps là est important, essentiel. Peut-être même qu’on le dénigre, qu’on ne lui reconnaît pas sa valeur.

Diriez-vous qu’il s’agit d’une remise en question ?...

Est-ce une période pendant laquelle vous avez envie de « tout reprendre de zéro » ? Ressentez-vous de l’agacement, de la colère ? Y a-t-il un enjeu - caché ou inconscient -  qui vous donne envie de tout remanier ? Ressentez-vous un manque de confiance en vous ? En votre équipe ? Votre « censeur interne » a-t-il parlé ? Vous savez, cette petite voix qui nous critique, nous dénie, nous maltraite. Celle qui vient abîmer nos réflexions les plus fertiles. Elle déclenche tout un tas de questions, souvent sclérosantes. Des phrases « poison ». On se dit : « Je ne vais jamais y arriver ». Ou encore « c’est trop original, ça ne passera pas ». Ou encore « Qui es-tu pour proposer cela ? ».


Ou peut-être encore est-ce une personne de notre entourage – professionnel ou personnel – qui vient vous dire : « Qu’est-ce que tu fais ? Je ne comprends pas !? ». Pas cette personne qui soutient, s’intéresse ou s’inquiète. Non. Plutôt celle qui, trop souvent, casse l’élan voire, agit plus violemment encore. Bien souvent, vous ne lui avez rien demandé. Elle vient vous donner son avis ou tout remettre en cause. Elle vous indique que ce serait quand même mieux - ou « grand temps » - de faire comme ceci et non comme cela. La remise en question présente le plus souvent des symptômes de stérilité.

… Ou plutôt d’un « re-questionnement » ?

Ou s’agit-il d’un temps durant lequel la pensée, la stratégie, la vision, repose comme une bonne pâte ?

Le marché comme le cabinet sont des systèmes vivants. Ils sont amenés à bouger, à évoluer. Il est donc normal qu’une décision prise il y a quelques mois ait à être questionnée, repensée, révisée, re-décidée peut-être. Normal, important et nécessaire ! Le cabinet qui ne re-questionne pas ses décisions, qui ne revisite pas le sens de son action, qui n’élabore pas de vision, qui ne la partage pas avec tous les acteurs de la structure, celui-la prend le risque de passer à côté d’opportunités – ce qui est un moindre mal – d’une meilleure performance, mais surtout, il risque de faire face à de nombreux dysfonctionnements.

Une étude a été menée sur les entreprises américaines qui sont passées du statut d’entreprises « moyennes » à « leaders ». Un des critères de succès réside dans le fait que, les premières années de prise de poste du manager, ce dernier a passé 80 % de son temps à gérer le recrutement de ses N-1, puis la stratégie avec eux, puis à nouveau à les déplacer dans l’organigramme, le cas échéant. Il prend le temps d’écouter, de déceler, de révéler des talents, chez l’un chez l’autre. Il n’attend pas pour agir. Il questionne régulièrement la pertinence de ses décisions. Beaucoup d’américains pensent en mode « essais/ajustements », là où nous français sommes dans une logique « échec/réussite », à mon sens, plus rigide.

Tout re-questionnner plutôt que tout remettre en question

Dans le cas des entreprises américaines, celui qui exerce le leadership ne traite quasiment plus de l’expertise de son métier mais se porte au moins à 80 % sur les aspects managériaux. Et cela, on connaît. Ce qui est plus intéressant c’est ce perpétuel questionnement. « Est-ce que Roger est toujours bien, là où je l’ai placé ? », « Amélie ne serait-elle pas mieux à la direction financière ? ».

Nous voyons souvent un associé en charge d’un domaine administratif, le rester – très - longtemps. Pourquoi ne pas lui affecter un mandat de trois ans par exemple ? Non parce qu’il serait incompétent mais pour se donner la possibilité de questionner son rôle à nouveau et de laisser la possibilité au Managing Partner de lui demander d’exercer ses compétences ailleurs, ou de déceler en lui un talent inexploité dans un autre domaine.

Tout remettre en question est une occasion de ne pas passer à l’action, de reculer, de se mettre en retrait, derrière de « bonnes raisons ».

Re-questionner me paraît plus constructif : il est nécessaire d’avoir une vision et de reposer, repenser chaque décision dans la perspective de cette vision.