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Gain et perte, les inséparables

Par Emmanuelle Vignes - emmanuelle.vignes@gmail.com

« Je vis une période difficile. Je vieillis, j’ai moins la niaque. La pression des clients ne cesse de croître… Côté perso, mes enfants grandissent : le week-end et les rares moments où je peux les voir dans la semaine, ils vont et viennent comme des courants d’air… Ma mère est malade et me reconnaît à peine...  Au cabinet, les collaborateurs sont beaucoup plus exigeants. C’est simple, ils ne sont jamais contents… Bref, en ce moment, j’ai du mal à voir un bout de ciel bleu et à me motiver pour aller travailler. Parfois je me dis, qu’ai-je à gagner à continuer ? ».

Nous sommes depuis notre plus jeune âge confrontés à des pertes de façon plus ou moins consciente. Les psychanalystes expliquent cela très bien. La fusion avec la mère, la toute puissance de l’enfant, le fantasme des parents infaillibles, de l’amour absolu, de l’autre qui n’aimerait que nous, le choix de la nature de notre sexualité, de nos études, de notre travail, etc. Tout au long de nos vies personnelles et professionnelles, nous avons à faire des choix qui nous amènent inexorablement à renoncer à des options qui nous plaisent bien aussi. Ces renoncements sont vécus comme des pertes. Et ces pertes, qui sont néanmoins nécessaires à notre croissance, nous aurons à en vivre jusqu’à notre mort.

Au cabinet, quand un collaborateur que nous avons nous-mêmes formé devient autonome et commence à prendre des initiatives, nous tient moins au courant sur le dossier… nous avons à perdre cette dépendance qui nous était confortable car elle nous permettait – entre autres choses – de garder le contrôle plus facilement sur le travail effectué (cf. Fiche du 27/06/2007 : Les degrés de l’autonomie).

Chaque fois que je perds quelque chose, j’entame un processus de deuil (cf. Fiche du 18/05/2007 : Les grandes étapes du deuil). Or nous avons vu que parfois nous restons bloqués dans la tristesse et que nous avons du mal à accepter cette perte et à aller vers le cadeau caché, l’acceptation et au fond, à passer à autre chose. Ainsi, certains d’entre nous voient plus naturellement les aspects les plus sombres de la perte. Et quand elles s’accumulent, la tristesse et la déprime s’installent. Trop c’est trop.

Or, à chaque fois que nous perdons quelque chose, nous gagnons autre chose. Quand maman ne m’allaite plus je perds le confort de la symbiose mais je gagne en autonomie car je suis amené(e) à apprendre à me nourrir seul(e). Au cabinet, je perds un « bon petit soldat » qui ne m’obéit plus au doigt et à l’œil mais je gagne un lieutenant qui va renforcer mon armée. Chaque perte donne naissance à un gain. Nous ne sommes pas capables, et parfois nous n’en avons pas envie, de voir ce qu’il est au moment de la perte. C’est trop tôt. C’est souvent après avoir vécu ce temps de tristesse du deuil (étape numéro 4) que nous sommes enfin capables de voir cette lumière.

C’est aussi un état d’esprit. Quand il ne s’agit pas de grandes pertes comme celle d’un être aimé par exemple mais d’un dossier, nous sommes invités à voir tout de suite ce qu’on a à y gagner malgré les apparences (cf. Fiche du 30/08/2013 : Le contrepoids et ma rentrée). Non pas pour masquer ou éviter de ressentir de la peine, mais pour la traverser avec plus de sérénité, l’accepter, la vivre en sachant qu’ainsi elle ne sera pas éternelle.

Ce qui importe c’est le regard que nous portons sur nos pertes dans un monde qui ne supporte plus l’échec. L’échec n’est pas là où l’on croit. Je vous invite à faire l’expérience d’être attentifs pendant 21 jours, à percevoir derrière chaque perte (un dossier, un collaborateur qui vous quitte, un client qui part chez le concurrent, etc.) ce qu’apporte en termes de gain, votre perte : être plus vigilant concernant les besoins du client, être plus performant dans tel domaine de pratique, être plus à l’écoute de vos collaborateurs, etc.

Accepter ces événements « imparfaits » à nos yeux pour grandir et vieillir plus heureusement. Pertes et gains sont indissociables.