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Non bis in idem : « Le jugement Altran traduit une position d’attente de la jurisprudence française »

Par Delphine Iweins

Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N° 1300 du 01/05/2017

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Jean-Daniel Bretzner, associé du cabinet Bredin Prat


Principe dont le périmètre n’est pas encore tranché par les juridictions européennes, le « non bis in idem » s’est de nouveau retrouvé au cœur d’une affaire : le dossier Altran. Jean-Daniel Bretzner, associé du cabinet Bredin Prat, et avocat de l’une des parties, nous explique l’équilibre trouvé par le tribunal correctionnel de Paris pour se prononcer dans cette affaire sans prendre réellement position sur l’application du « non bis in idem ».

Le tribunal correctionnel de Paris a rendu un jugement, le 30 mars dernier, dans l’affaire Altran. Pouvez-vous nous rappeler l’origine et les enjeux de ce dossier ?
Jean-Daniel Bretzner : L’enjeu du dossier Altran est relatif à la possibilité de poursuivre et de sanctionner deux fois une même personne, à raison des mêmes faits. Les faits à l’origine des poursuites datent du début des années 2000, ils sont donc extrêmement anciens. C’est un paramètre qu’il faut garder à l’esprit pour mesurer l’intérêt de la solution dégagée par le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 30 mars 2017. Dès le début, l’affaire a suscité des poursuites qui comportaient deux branches. La commission des opérations de bourse (devenue l’Autorité des marchés financiers) a diligenté une enquête dès le mois de septembre 2002. Peu après, en janvier 2003, une information judiciaire a été ouverte. Ces deux procédures ont eu des vies parallèles et se sont traduites par l’examen des mêmes faits, par la COB et par le juge répressif.

En mars 2007, la commission des opérations de bourse (COB) a sanctionné les principaux dirigeants d’Altran. Dans sa décision, la COB a examiné un ensemble de faits qui ont été ultérieurement soumis au tribunal correctionnel de Paris et a considéré que les manquements boursiers dont elle était saisie n’étaient que partiellement constitués. La sanction de la COB a donc été « partielle », certains griefs ayant finalement été écartés. À la suite de cette décision, un recours a été exercé. La cour d’appel de Paris a confirmé en mai 2009 la position adoptée par la COB. Le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de la cour a par la suite été rejeté.

Parallèlement à la procédure devant la COB, des mises en examen ont eu lieu dans le cadre du volet pénal, en juillet 2004. L’affaire a donné lieu seulement en juin 2014 à une première décision de la part du juge répressif. Dans un premier jugement, le tribunal correctionnel de Paris a annulé l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction pour vices de forme, en faisant notamment observer que le juge d’instruction avait omis de répondre au grief formulé par certains prévenus au sujet de la violation de l’adage « non bis in idem ». Suite à une deuxième ordonnance de renvoi, l’affaire a de nouveau été plaidée devant le tribunal correctionnel de Paris, en septembre, novembre et décembre 2016. Ce dernier a été amené à cette occasion à statuer sur les faits précédemment examinés par la COB.

Quel est l’intérêt de ce jugement ?
J.-D.B. : Il est double. D’une part, le jugement fait une application immédiate de la loi nouvelle adoptée le 21 juin 2016, loi qui a mis en place un « mécanisme d’aiguillage » consistant à instaurer une consultation entre l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le Parquet national financier, de façon à prévenir les doubles poursuites en ce qui concerne trois manquements boursiers et infractions pénales boursières. Cette loi consacre également un principe d’extinction de l’action publique en cas de notification de griefs par l’AMF, lorsque les faits qui fondent l’action publique sont identiques à ceux qui fondent la saisine de l’AMF.

Le jugement affirme que cette loi nouvelle constitue une loi de procédure et l’applique pour cette raison de façon immédiate à des faits antérieurs à son entrée en vigueur. Fort de ce raisonnement, le tribunal considère que l’action publique est éteinte pour ce qui est de l’une des trois infractions qui étaient imputées aux prévenus, en l’occurrence le délit de diffusion d’informations inexactes au marché, pour lequel plusieurs des prévenus avaient été déjà condamnés par la COB en 2007. Gardons, cependant, en tête que deux autres délits étaient imputés aux prévenus (la présentation de comptes infidèles, l’existence de faux et l’usage de faux) qui ne pouvaient pas bénéficier de la loi nouvelle de 2016, puisqu’ils n’entrent pas dans son champ d’application.

Les juges avaient deux possibilités pour admettre une extinction de l’action publique au sujet de ces deux autres infractions. Une première approche, qui aurait peut être été plus novatrice que celle finalement adoptée, aurait pu consister à prendre exclusivement appui sur toute la construction jurisprudentielle issue du travail de la cour de justice de l’Union européenne et de la cour européenne de Strasbourg et à faire application de l’adage « non bis in idem », à l’aune des critères dégagés par ces deux juridictions.

La seconde façon d’admettre une extinction des poursuites pour les deux infractions non concernées par la loi du 21 juin 2016 pouvait consister à considérer que ces dernières étaient indissociablement liées à la première, parce qu’elles constituaient un simple outil utilisé in fine au soutien de l’amélioration des comptes d’Altran. L’étroitesse du lien entre les trois infractions pouvait permettre à l’infraction frappée d’extinction d’absorber en quelque sorte les deux autres et se traduire par une extinction « générale » de l’action publique.

Ce raisonnement serait-il un moyen détourné d’éviter une double condamnation de la même personne sur les mêmes faits ?
J.-D.B. : Ce raisonnement évite d’entrer dans un débat sur la nature et sur le nombre très précis des conditions qui subordonnent le bénéfice de l’adage « non bis in idem ». L’analyse de la jurisprudence du conseil constitutionnel, de la CJUE et de la cour de Strasbourg démontre que les choses ne sont pas nécessairement figées à cet égard et que les conditions qui subordonnent l’application du principe « non bis in idem » sont évolutives. Il existe sur cette question des enjeux de politique répressive qui ne sont pas uniquement nationaux. La problématique des doubles poursuites suscite bien des débats. À Strasbourg, au sein même de la CEDH, des divergences existent sur la question de savoir si l’adage doit être soumis à des conditions souples ou restrictives. La décision du tribunal correctionnel de Paris évite d’entrer dans ce débat et consacre une solution qui n’est pas exposée à l’aléa inhérent à l’instabilité des solutions prétoriennes en la matière.

Le tribunal correctionnel n’a donc pas créé une réelle jurisprudence française sur la question de l’application de l’adage « non bis in idem » ?
J.-D.B. : Le tribunal a choisi une alternative un peu plus conservatrice. Il était invité à être un peu plus novateur et aurait pu l’être. Nous avions plaidé en faveur d’une mise en œuvre du principe « non bis in idem », tel qu’il résultait de l’arrêt « Grande Stevens » de la CEDH. Les juges ont opté pour une voie qui est sans doute plus apte à résister à l’analyse de la cour d’appel. Le jugement Altran n’est en effet pas définitif.

Cela signifie-t-il que le tribunal correctionnel dans l’affaire Altran ne pouvait pas se baser sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la CJUE ou de la Cour de Strasbourg ?
J.-D.B. : Il aurait parfaitement pu le faire. Néanmoins, il a choisi une voie légèrement différente, qui consiste à prendre appui sur une solution déjà consacrée par la chambre criminelle de la cour de cassation, lorsque plusieurs infractions sont indissociablement liées. L’alternative qui s’offrait au tribunal aurait pu s’avérer plus hasardeuse dans la mesure où, en cas de revirement de jurisprudence à Luxembourg, à Strasbourg ou au conseil constitutionnel, sa décision aurait pu être fragilisée.

Ainsi, en optant pour une voie qui peut paraître plus conservatrice, le tribunal a accru la probabilité de voir sa décision résister à l’épreuve d’un appel et d’un éventuel pourvoi en cassation.

Il ne fait aucun doute que le droit positif n’est pas fixé de manière claire et définitive au sujet de l’adage « non bis in idem ». Des évolutions sont à attendre dans les années à venir. D’ici à ce que la chambre criminelle de la cour de cassation statue dans le cadre d’un éventuel pourvoi dans l’affaire Altran, c’est-à-dire dans peut être quatre ou cinq ans, des évolutions sont susceptibles d’intervenir tant au niveau interne qu’européen, au sujet du périmètre précis de l’adage et des conditions qui subordonnent son application.

Trancher le périmètre d’application de cet adage est-il en réalité utile ?
J.-D.B. : Je pense que oui car la solution dégagée dans l’affaire Altran n’est pas susceptible d’être généralisée. Elle demeurera circonscrite. Le jugement Altran traduit à mon avis une position d’attente de la jurisprudence française. On ne peut affirmer que l’adage « non bis in idem » ne sera jamais appliqué de façon déconnectée de la loi du 21 juin 2016. Pour l’heure, tant que les conditions d’application de cet adage ne sont pas complètement stabilisées, je pense que les magistrats auront tendance à utiliser des outils alternatifs pour parvenir au même résultat, c’est-à-dire prononcer l’extinction des poursuites. Le jour où les conditions qui subordonnent le bénéfice de l’adage seront claires, nettes et définitivement fixées, ainsi que son domaine d’application, les juges n’hésiteront plus à l’utiliser massivement.

Une telle clarification pourrait dans une large mesure résulter d’une question préjudicielle, qu’un juge français pourrait être invité à poser à la CJUE. À ma connaissance, cela n’a jamais été fait par une juridiction française. Une fois que la cour de justice de l’Union européenne se sera prononcée sur le sujet, il sera impossible pour les magistrats français de s’écarter de cette solution.
non bis in idem Bredin Prat

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