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MAI 2019-MAI 2020 : le droit international privé n’est pas près d’être confiné

Par Hélène PEROZ, Consultante en droit international privé et Éric FONGARO, Professeur, Droit privé et sciences criminelles

Pour cette livraison, qui couvre la période de mai 2019 à mai 2020, nous avons souhaité, en ayant en permanence à l’esprit les attentes de la pratique, traiter le domaine couvert en adoptant une nouvelle présentation, qui servira de cadre, à l’avenir, à la recension et à l’annotation des textes et décisions intéressants le droit international privé patrimonial, envisagé au sens large.

Ainsi, la chronique sera désormais divisée en trois parties, successivement relatives aux sources du droit international privé, au droit patrimonial de la famille, et, enfin, aux obligations et aux biens. Malgré la période confinement, qui n’a pas été propice à une forte activité législative et judiciaire dans la matière qui nous intéresse, la période couverte, suffisamment large, s’avère finalement assez riche, comme vous pourrez le constater. Bonne lecture !

I – SOURCES

LE RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE DU 13 DÉCEMBRE 2019 ET LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

La réserve héréditaire est aujourd’hui controversée en droit interne. Les critiquent ne sont pas nouvelles. Certains proposent sa suppression au nom de la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit ; d’autres invitent à son évolution en lien avec les mutations sociologiques contemporaines ou encore avec la volonté de favoriser le développement de la philanthropie. Or, force est de constater que le droit international privé a fortement fragilisé la réserve héréditaire en moins d’une décennie. Au point qu’un rapport sur la réserve héréditaire a été commandé par la ministre de la Justice.

Les attaques du droit international privé sont au nombre de trois.

Tout d’abord, c’est l’inconstitutionnalité du droit de prélèvement en 2011 qui a été la première salve. Issu de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, le droit de prélèvement s’appliquait si un héritier français était lésé en application d’une loi étrangère par rapport à ce qu’il aurait pu percevoir en application de la loi française. Alors, il pouvait prélever sur les biens situés en France l’équivalent de ce qu’il n’avait pas reçu en application de la loi étrangère. Ne bénéficiant qu’aux seuls héritiers français, la loi a été déclarée inconstitutionnelle au cours d’une question prioritaire de constitutionnalité (1) en ce qu’elle méconnaissait le principe d’égalité devant la loi.

Ensuite, la deuxième salve est l’avènement de la professio juris à compter du 17 août 2015 en application du règlement européen nº 650/2012. En principe, la succession internationale est soumise à la loi de la dernière résidence du défunt, mais ce dernier peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont il possède la nationalité. Si le défunt réside en France mais possède la nationalité d’un État ne connaissant pas de la réserve héréditaire, il pourrait faire le choix en France de l’application de sa loi nationale.

Enfin, le coup de grâce a été porté par les arrêts Jarre et Colombier du 27 septembre 2017 (2), dans lesquels la haute juridiction affirme que la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international. La Cour de cassation apporte un tempérament et prévoit que la loi étrangère peut être écartée « si son application concrète au cas d’espèce conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels […] qu’en l’espèce les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ».

Le rapport soulève que « l’orientation strictement alimentaire prise par la Cour de cassation affaiblit et dénature la réserve héréditaire. Elle est à l’origine de nombreuses incertitudes tant pratiques (3) que théoriques que regrette le groupe de travail ».

C’est pourquoi le rapport émet deux propositions touchant directement le droit international privé.

La première proposition est ainsi rédigée : « La réserve héréditaire devrait être reconnue comme étant d’ordre public international en tant qu’elle appartient aux principes qui se rattachent aux fondements politiques, familiaux et sociaux de la société » (proposition nº 2 du rapport).

Or, la jurisprudence Jarre et Colombier a été rendue sous

l’empire de la jurisprudence antérieure au Règlement européen n°650/2012. À compter du 17 août 2015, c’est le règlement (UE) nº 650/2012 qui s’applique. L’article 35 du règlement prévoit que l’application d’une disposition de la loi d’un État ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Le considérant 58 du règlement précise que ce sont dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public, qu’il serait possible d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné.

Il nous paraît difficilement concevable qu’une loi interne impose, de façon générale, le caractère d’ordre public international à la réserve héréditaire, là où un texte supralégislatif exige son appréciation dans des cas précis et dans des circonstances exceptionnelles.

L’ordre public international s’apprécie in concreto et non pas in abstracto. La difficulté a été vue par les auteurs du rapport, qui ajoutent alors une deuxième proposition en faisant appel à la notion d’ordre public de proximité. Or, force est de constater que l’ordre public de proximité ne permet en aucun cas d’apprécier les circonstances exceptionnelles de l’application concrète d’une disposition d’une loi étrangère.

Le rapport envisage donc une deuxième proposition qui est de « considérer qu’est contraire à l’ordre public international la loi étrangère dont l’application conduirait à priver de tout droit un descendant en rang utile pour succéder lorsque le défunt ou l’héritier est de nationalité française ou réside en France au moment du décès » (proposition nº 3). Conscient du risque de discrimination d’une telle proposition, il envisage d’adopter éventuellement « une démarche plus large en étendant ces rattachements à tous les ressortissants d’un État membre ou ayant leur résidence dans un État membre » (proposition nº 3 bis).

L’ordre public de proximité consiste à augmenter les exigences de l’ordre public dès lors que la situation a des liens étroits avec un État. La proposition de recourir à l’ordre public de proximité ne nous convainc pas, outre sa faiblesse inhérente (4).

Tout d’abord, il nous semble que l’ordre public de proximité remettrait en cause l’objet même du règlement. L’objet du règlement Successions est de permettre aux citoyens de profiter, en toute sécurité juridique, des avantages offerts par le marché intérieur et de connaître à l’avance la loi applicable à leur succession (considérant 37). Or, comment connaître à l’avance la loi applicable à la succession, si chaque État membre a ses propres exigences en matière d’ordre public ?

Ensuite, le recours à l’ordre public de proximité remettrait en cause la mesure phare qu’est la professio juris puisqu’il interdirait à tout résident en France, voire dans l’Union européenne, de choisir sa loi nationale dès lors qu’elle ne connaît pas de la réserve héréditaire (5). N’oublions pas que le règlement (UE) nº 650/2012 est d’application universelle (article 20) et permet d’appliquer une loi désignée, même si ce n’est pas celle d’un État membre.

Quoi que l’on pense de l’évolution du droit international privé en matière successorale, il faut bien constater que la question échappe de plus en plus aux législations nationales des États membres de l’Union européenne. L’avènement des règlements européens en droit patrimonial de la famille ne permet plus guère d’imposer une vision strictement nationale en la matière.Hélène PEROZ

RECTIFICATIF AU RÈGLEMENT (UE) Nº 650/2012

L’Union européenne a adopté un rectificatif au règlement (UE) nº 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (6).

Cette rectification de pure forme concerne l’accord d’élection de for en matière successorale. Ainsi dans le texte initial, l’article 5 §١ était rédigé comme suit :

« 1. Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, les parties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet État membre ont compétence exclusive pour statuer sur toute succession. »

Il a été modifié in fine :

« ١. Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, les parties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet État membre ont compétence exclusive pour statuer sur toute question concernant la succession. »

Par Hélène PEROZ

CIRCULAIRE RÈGLEMENTS RÉGIMES MATRIMONIAUX ET EFFETS PATRIMONIAUX DES PARTENARIATS

Structurée en quatre fiches, suivies de cinq annexes, la circulaire du 24 avril 2019 de présentation des dispositions des règlements (UE) nº 2016/1103 et nº 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions, en matière de régimes matrimoniaux et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés a, comme son nom l’indique, vocation à présenter aux praticiens du droit les deux derniers règlements de droit international privé en matière de droit patrimonial de la famille.

Très souvent rédigés en des termes quasiment identiques, les deux règlements se trouvent structurés de la même façon. C’est cette structure que reprennent les quatre fiches, respectivement consacrées au champ d’application (fiche 1), à la compétence (fiche 2), à la loi applicable (fiche 3), et aux règles applicables à la reconnaissance, à l’acceptation et à la force exécutoire des décisions, transactions judiciaires et actes authentiques (fiche 4).

Il est bien sûr hors de question de procéder à une analyse de chacune desdites fiches dans le cadre nécessairement restreint de la présente chronique. Il importe cependant de souligner qu’en dépit de son caractère essentiellement descriptif, la circulaire du 24 avril 2019 apporte également, sur certaines questions, des éléments de réponse particulièrement précieux pour les professionnels du droit appelés à appliquer les deux textes susmentionnés de droit international privé. Quelques illustrations peuvent être citées, sans aucunement prétendre à l’exhaustivité, afin d’inciter notaires, avocats et magistrats, notamment, à lire avec attention le travail publié par la Chancellerie.

S’agissant du champ d’application matériel des règlements, on relèvera par exemple que lesdits règlements ont vocation à gouverner les accords prénuptiaux. De même, les donations de biens présents entre époux relèveraient du champ d’application des textes. Plus avant, si les questions liées à la capacité juridique se trouvent exclues des textes, les pouvoirs et les droits spécifiques de l’un ou l’autre des époux ou partenaires à l’égard de leurs biens, qu’ils soient exercés entre eux ou à l’égard des tiers, entrent dans le champ des règlements (considérant 20). Quant à la délicate question des dispositions du régime primaire, entreraient aussi dans le champ d’application des textes, sous réserve bien sûr d’une interprétation différente de la CJUE, les articles 215, 216, 220, 221 et 223 du Code civil ; mais l’hésitation resterait de mise pour les articles 217 et 219, dont il est indiqué qu’ils entreraient plus vraisemblablement dans le champ d’application de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection des adultes.

S’agissant du champ d’application territorial, pour autant que les règlements soient d’application universelle dans les dix-huit États membres ayant participé à la coopération renforcée, la circulaire précise bien que les dispositions relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires, des transactions judiciaires ou des actes authentiques ne sont applicables qu’entre États membres participant à la coopération renforcée. Plus avant, la circulaire apporte de précieuses indications quant à l’application outre-mer des dispositions de droit international privé issues des deux règlements.

S’agissant du champ d’application temporel, les praticiens liront avec attention la circulaire qui précise bien qu’en ce qui concerne tant la compétence que la loi applicable ou la circulation des décisions, actes authentiques et autres transactions judiciaires, c’est bien à compter du 29 janvier 2019, et non après cette date, qu’il faudra se placer pour appliquer les textes. C’est ainsi par exemple que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable en matière de régimes matrimoniaux s’appliquera aux époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, le règlement « Régimes matrimoniaux » s’appliquant aux époux mariés à compter du 29 janvier 2019 ou désignant la loi applicable à leur régime à compter de cette date.

La circulaire détaille également avec profit la question de l’articulation des règlements européens avec les autres règlements et conventions internationales. Si l’articulation du règlement « Régimes matrimoniaux » avec la Convention de La Haye a pu être maintes fois décrite, on retiendra que la convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 se trouve désormais écartée dans les rapports avec la Slovénie. En revanche, cette dernière convention, qui comprend aussi des dispositions relatives au régime matrimonial, continue de s’appliquer dans les rapports avec la Serbie, le Monténégro et la Bosnie. Continue également de s’appliquer la convention franco-polonaise du 5 avril 1967 relative à la loi applicable, la compétence et l’exequatur dans le droit des personnes et de la famille, qui comporte des dispositions relatives aux rapports patrimoniaux entre les époux.

Dans le domaine de la compétence, la circulaire précise bien que les notaires français ne sont pas des juridictions au sens des deux règlements, même lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une procédure de partage judiciaire ou de divorce en application des articles 255 du Code civil et 1361 et 1363 du Code de procédure civile. Au demeurant, la circulaire indique que les règles de compétence n’empêchent pas que la liquidation du régime matrimonial puisse s’effectuer amiablement, par exemple devant un notaire.

Plus avant, la circulaire présente avec grande clarté les règles de compétences hiérarchisées posées par les règlements, lesquelles reposent, en premier lieu, sur un principe de concentration de compétence en présence de procédures en cours de succession et de divorce devant les juridictions d’un État membre (articles 4 et 5 des règlements). À cet égard, il importe de souligner qu’à la différence de la concentration du contentieux en matière successorale, la concentration du contentieux en cas de désunion suppose, en fonction du critère du règlement Bruxelles II bis, l’accord des parties. La concentration opère de plein droit si le critère de compétence de Bruxelles II bis témoigne d’une grande proximité entre le couple et l’État saisi. Dans ce cas, la concentration est impérative. Dans d’autres hypothèses, listées au paragraphe 2 de l’article 5, la concentration de compétence est subordonnée à l’accord des époux. Quant à la faculté de choix de la juridiction compétente (article 7), on notera que celle-ci se trouve encadrée de façon à faire converger les critères de compétence avec ceux de la loi applicable. En l’absence de concentration de contentieux ou d’élection de for, les règlements prévoient non seulement (article 6) des critères de compétence en cascade – hiérarchisés et non alternatifs –, mais encore d’autres règles de compétence – compétence fondée sur la comparution volontaire du défendeur (article 8), compétence de substitution (article 9), compétence subsidiaire –, ainsi qu’un forum necessitatis (article 11), destiné à remédier au déni de justice.

La présentation des dispositions des règlements relatives à la loi applicable intéressera tout particulièrement les notaires. Aussi bien lesdites règles ont-elles vocation à s’appliquer hors instance liquidative. Sans que soient ici exposées les règles de conflits de lois, nous soulignerons que celles-ci reposent, en grande partie, sur les critères de la résidence habituelle et de la nationalité. À cet égard, la circulaire ne manque pas de rappeler que la résidence habituelle constitue une notion autonome, et que la nationalité doit être déterminée en application des règles du droit national, dans le plein respect des principes généraux de l’Union européenne. Plus avant, la circulaire précise bien que les parties ne sont pas impérativement soumises au régime légal ; elles peuvent aussi choisir, en cas de manifestation de volonté, un régime conventionnel. Quant à la validité formelle des conventions sur le choix de loi, l’article 23 des règlements exige un formalisme a minima, reposant sur un écrit, daté et signé, étant observé qu’il est toujours possible de recourir à l’acte électronique. En revanche, de façon sans doute un peu discutable, la circulaire indique que le choix de loi, lorsqu’il intervient, doit être exprès. À la vérité, nous ne voyons pas en quoi un choix de loi tacite ne pourrait pas être tacite. Plus avant, et de façon convaincante, la circulaire mentionne que le choix de loi peut être effectué dans une convention ad hoc, mais peut également résulter d’une clause d’une convention matrimoniale ou partenariale. En toute hypothèse, on retiendra que si le droit français se trouve applicable à la validité formelle de la convention de choix de loi, ladite convention devra suivre, pour les régimes matrimoniaux, les prescriptions de l’article 1394 du Code civil – acte notarié avec présence simultanée des époux –, et pour les partenariats enregistrés, celles de l’article 515-3 du Code civil.

Quant à la loi applicable à défaut de choix des parties, la circulaire expose clairement, pour la loi applicable au régime matrimonial, le système en cascade de l’article 26 du règlement « Régimes matrimoniaux », en mettant bien en évidence les règles retenues afin de résoudre les conflits mobiles, ainsi que la clause d’exception au profit de la loi de la dernière résidence habituelle. Plus avant, le texte de la chancellerie mentionne bien, s’agissant des partenariats enregistrés, que la loi applicable à défaut de choix est celle de l’État selon la loi duquel le partenariat enregistré a été créé, sous réserve là encore d’une clause d’exception.

La circulaire se montre particulièrement intéressante quant à la portée et aux limites de la loi applicable, tout particulièrement en ce qui concerne la disposition générale consacrée à l’opposabilité aux tiers de la loi applicable (article 28). Sur ce point, la loi applicable n’est opposable au tiers que s’il a eu connaissance de cette loi ou aurait dû en avoir connaissance en faisant preuve de la diligence voulue. Il faut donc soit justifier d’une connaissance effective du tiers de ce que telle loi était applicable, soit justifier de ce qu’il aurait dû en avoir connaissance. Cependant, l’article 28, paragraphe 2, prévoit deux cas d’ignorance inexcusable de la part du tiers. Ainsi en va-t-il en cas d’application d’une loi proche et prévisible, et en cas de respect des formalités de publicité ou d’enregistrement. On ne peut à cet égard que regretter, en matière de Pacs, qu’il n’existe pas en droit français d’enregistrement ou de publicité quant au régime patrimonial applicable.

La circulaire consacre par ailleurs de précieux développements aux lois de police, définies aux articles 30 des deux règlements. Mais surtout, on retiendra que, pour la chancellerie, en dépit de l’arrêt Cressot du 20 octobre 1987 (nº 85-18.877), la définition par les règlements de la loi de police fait douter qu’on puisse qualifier l’entier régime primaire patrimonial de loi de police au sens des règlements européens. Ainsi que le relève la circulaire, « la plupart de ces dispositions ne relèvent d’ailleurs pas du champ matériel des règlements ». Selon le ministère de la Justice, « en droit français, concernant le régime primaire des époux, s’il est acquis que l’article 215 du Code civil rentre dans cette catégorie, il est moins certain que ce soit le cas par exemple pour les règles relatives à la solidarité des dettes ménagères (article 220), aux mesures urgentes en cas de mise en péril de l’intérêt de la famille (C. civ., article 220-1), aux pouvoirs des époux (articles 216, 220, 221, 223, 225) ou à la sécurité des tiers (articles 221 et 222). Par ailleurs, la contribution aux charges du mariage sera régie non pas par le règlement “Régimes matrimoniaux”, mais par le règlement nº 04/2009 sur les obligations alimentaires ».

En ce qui concerne l’ordre public international, les règlements reprennent la « clause de style » figurant dans d’autres textes européens de droit international privé, tel le règlement « Successions ». En pratique, ainsi que l’indique la circulaire, « il conviendra de s’assurer qu’il ne résulterait pas de l’application de la loi désignée soit une atteinte aux droits reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, soit une contradiction avec l’un des objectifs des règlements, qui visent principalement à assurer la libre circulation des personnes et doivent, en ce sens, garantir une prévisibilité de la norme applicable.

Dans le même temps, il faut aussi s’assurer, a contrario, que le recours à la notion d’ordre public ne conduise pas à porter atteinte à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

Enfin, dans le domaine des règles applicables à la reconnaissance, l’acceptation et la force exécutoire des décisions, transactions judiciaires et actes authentiques, les deux règlements produisent des définitions fort utiles des décisions, actes authentiques et autres transactions judiciaires. À cet égard, on retiendra qu’en France, la liquidation du régime matrimonial effectuée sans acte authentique dans la convention de divorce par consentement mutuel par acte sous seing privé contresigné par avocat et déposé au rang des minutes d’un notaire ne peut pas bénéficier des dispositions des règlements, car il ne s’agit ni d’une décision, ni d’une transaction judiciaire, ni d’un acte authentique au sens du règlement « Régimes matrimoniaux ». Plus avant, la circulaire souligne que si l’État d’origine ou d’exécution est un État tiers au sens des règlements, il conviendra de renvoyer les parties à l’application, le cas échéant, de la convention bilatérale ou multilatérale conclue avec cet État ou à défaut aux règles de droit commun en matière de reconnaissance ou d’exequatur.

S’agissant de l’acceptation des actes authentiques, les règlements prévoient l’utilisation d’un formulaire type pour décrire la force probante desdits actes. En France, ledit formulaire sera rempli par le notaire instrumentaire de l’acte. Quant à la force exécutoire des décisions, transactions judiciaires et actes authentiques, les deux règlements reposent sur une procédure de déclaration de force exécutoire. Cet « exequatur allégé » nécessite l’intervention de l’autorité de l’État membre d’origine, qui va délivrer une attestation en vue de l’exécution dans un autre État, et de l’autorité de l’État d’exécution.

En ce qui concerne les titres exécutoires français dont la reconnaissance et l’exécution sont sollicitées dans un autre État membre, l’autorité compétente pour délivrer l’attestation est le directeur du greffe de la juridiction qui a rendu la décision ou homologué la transaction (CPC, art. 509-1). En ce qui concerne les actes authentiques établis par un notaire français, l’autorité compétente pour délivrer l’attestation est le notaire ou la personne morale titulaire de l’office notarial conservant la minute de l’acte reçu (CPC, art. 509-3). Quant aux requêtes aux fins de constatation de la force exécutoire des décisions et transactions judiciaires, celles-ci sont portées en France devant le directeur du greffe du tribunal judiciaire (CPC, art. 509-2). S’agissant des actes authentiques, les requêtes sont présentées au président de la chambre des notaires (CPC, art. 509-3).

Enfin, le nouvel article 509-9 règle le traitement des litiges nés à la suite de la décision relative à la requête en déclaration de force exécutoire.

Par Éric FONGARO

II – DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE

UNE ENFANT CONFIÉE DANS LE CADRE DE LA KAFALA N’EST PAS UN DESCENDANT DIRECT DES PERSONNES QUI L’ONT RECUEILLIE

CJUE 26 mars 2019, affaire C-129/18SM/Entry Clearance Officer, UK Visa Section

Cet arrêt ne concerne pas directement le droit international privé patrimonial, mais aura une incidence sur l’application des règlements européens de droit international privé.

Deux époux français, résidant au Royaume-Uni, y ont demandé un permis d’entrée sur le territoire de l’enfant qui leur a été confié en Algérie dans le cadre du régime d’une kafala. Les autorités britanniques ont opposé un refus à cette demande.

Dans le cadre d’un recours, les autorités britanniques saisissent d’une question préjudicielle la CJUE. Elles demandent si la directive sur la libre circulation du 29 avril 2004 permet de considérer la mineure comme un « descendant direct » des personnes qui l’ont recueillie au titre de la kafala algérienne, ce qui la ferait bénéficier d’un droit d’entrée au Royaume-Uni.

La Cour constate que, dès lors que le placement d’un enfant sous le régime de la kafala algérienne ne crée pas de lien de filiation entre l’enfant et son tuteur, un enfant placé sous la tutelle légale de citoyens de l’Union au titre de ce régime ne peut pas être considéré comme un « descendant direct » d’un citoyen de l’Union. Elle relève que la kafala est un type de placement par lequel un musulman adulte prend en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur en exerçant temporairement la tutelle légale de cet enfant (jusqu’à sa majorité), sans que cela crée de lien de filiation ni soit équivalent à l’adoption, explicitement interdite dans ce pays.

Toutefois, la Cour conclut qu’il appartient aux autorités nationales compétentes de favoriser l’entrée et le séjour d’un enfant placé sous la tutelle légale de citoyens de l’Union au titre du régime de la kafala algérienne en tant qu’« autre membre de la famille » d’un citoyen de l’Union, en procédant à une appréciation équilibrée et raisonnable de l’ensemble des circonstances actuelles et pertinentes de l’espèce, qui tienne compte des différents intérêts en jeu et, en particulier, de l’intérêt supérieur de l’enfant concerné.

Cette solution de la Cour de justice avait déjà été retenue par la Cour de cassation lorsqu’elle a considéré que la kafala ne créait pas de lien de filiation et ne pouvait être assimilée à une adoption (7). Les conséquences en droit patrimonial sont importantes car l’enfant n’est alors pas un héritier réservataire. Il n’a aucun droit sur la succession des parents qui l’ont recueilli.

Or, il ne fait guère de doute que cette interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne ne se limitera pas à la directive du 29 avril 2004 en l’espèce applicable, mais s’étendra à tous les règlements européens de droit international privé. Ainsi, l’absence de lien de filiation entre l’enfant et la personne qui l’a recueilli aura une incidence sur l’application du règlement (UE) nº 650/2012 en matière de successions.

Par Hélène PEROZ

CONTRAT D’ADOPTION ET SUCCESSION

Civ. 1re, 6 novembre 2019, nº 18-17.111

À l’occasion d’un litige successoral, semble-t-il soumis à la loi française, la question se pose des effets en France d’un contrat d’adoption de l’enfant du conjoint, conclu en Allemagne et judiciairement homologué dans cet État, alors que postérieurement à ladite convention la loi allemande avait admis la conversion de l’adoption simple en adoption plénière, sans consentement du père biologique de l’enfant.

Les faits étaient les suivants. Une enfant naît en France d’un couple marié. Après le divorce, la mère se remarie en Allemagne. Par contrat conclu en Allemagne le 11 septembre 1975, homologué par un tribunal allemand les 11 et 25 novembre 1975, la fille est adoptée par le nouveau conjoint de sa mère « en qualité d’enfant commun ». De son côté, le père par le sang se remarie, et une autre fille naît de cette seconde union, également dissoute par divorce. Au décès du père biologique, survenu en France, la première fille conteste l’acte de notoriété établi après décès et mentionnant la seconde fille pour unique héritière, cette dernière assignant la première devant une juridiction française afin que soit constaté que celle-ci n’avait pas la qualité d’héritière.

La cour d’appel de Versailles estime que la première fille n’avait pas la qualité d’héritière réservataire, mais seulement celle de légataire à titre particulier de certains biens, la seconde fille devant recevoir l’intégralité de la succession à charge pour elle de délivrer les legs particuliers.

Deux principaux problèmes devaient être résolus en l’espèce, celui, d’une part, des effets en France du contrat d’adoption conclu à l’étranger et de son jugement d’homologation ; et celui, d’autre part, du conflit transitoire de droit étranger, car par une loi allemande du 7 février 1976, applicable à compter du 1er janvier 1978, l’adoption précédemment prononcée emportait désormais rupture du lien avec le père par le sang.

Sur le premier point, à la date de l’adoption, le droit allemand alors en vigueur prévoyait que l’adoption sans rupture du lien avec le père par le sang, intervenue sans le consentement de ce dernier, supposait, préalablement à la convention portant adoption et à son homologation, une décision du juge suppléant l’absence de consentement du père par le sang. Cette décision ne pouvait être produite au cas présent car elle a été détruite ; néanmoins, ce jugement se trouvait visé dans le contrat d’adoption homologué. Dans l’affaire en cause, la cour d’appel estimait que seule la régularité internationale de la décision d’homologation devait être examinée. Elle en déduisait que la première fille avait été valablement adoptée en Allemagne, conformément au contrat d’adoption judiciairement homologué. Mais, plus avant, la question se posait de savoir si le recours à une décision judiciaire afin de suppléer le consentement du père n’était pas, en soi, contraire à l’ordre public international français. La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré qu’aucune atteinte à l’ordre public international ne se trouvait caractérisée au cas présent et qu’aucune violation des principes fondamentaux de la procédure ne se trouvait démontrée. L’ordonnance portant homologation du contrat d’adoption, à cet égard, devait produire effet en France.

Sur le second point, la demanderesse au pourvoi arguait notamment de ce qu’elle avait fait l’objet d’une adoption simple, et de ce que la conversion d’une telle adoption en adoption plénière ne pouvait être réalisée qu’avec les consentements requis, donnés expressément en connaissance de cause. La Cour de cassation, conformément à sa jurisprudence Leppert (8), approuve la cour d’appel d’avoir considéré qu’aux termes des dispositions du droit allemand, la loi nouvelle s’appliquait de plein droit, à compter du 1er janvier 1978, aux enfants mineurs adoptés sous l’empire de la loi ancienne, de sorte que, sauf opposition prévue par le droit allemand – et non caractérisée en l’espèce –, l’adoption, qui avait les effets d’une adoption simple, s’était transformée de plein droit en adoption entraînant la rupture des liens juridiques avec la famille d’origine. Plus avant, la demanderesse soulignait que la cour d’appel aurait dû se demander si l’intérêt de l’enfant n’imposait pas, sur le fondement de l’article 3 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, d’écarter la règle allemande permettant la conversion de l’adoption simple en adoption plénière au titre de l’exception d’ordre public international. Et la même personne de considérer que la cour d’appel aurait dû rechercher si, au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’ordre public ne s’opposait pas à une rupture des liens avec le père biologique alors qu’il n’y avait pas de consentement de celui-ci. Plus généralement, il était avancé que l’ordre public international aurait dû être opposé à la loi étrangère prévoyant la rupture de plein de droit du lien de filiation sans que l’accord du père par le sang ait été sollicité, a fortiori au regard de l’ordre public de proximité, dans la mesure où l’enfant, de nationalité française, était né en France, d’un père français, et avait vécu ses premières années en France. Pas plus sur le terrain de l’exception d’ordre public international que sur celui des droits fondamentaux, les prétentions développées par la fille réclamant sa réserve héréditaire ne reçoivent un accueil favorable de la part des conseillers à la première chambre civile. Dans une argumentation qui peut étonner a priori (9), la cour régulatrice considère qu’au lien juridique unissant l’adoptée à son père biologique s’était substitué un lien juridique nouveau l’unissant à l’adoptant, qu’elle avait bénéficié des dispositions du droit allemand en résultant, et qu’elle avait eu une vie familiale avec ses parents adoptifs durant plusieurs années, de sorte que l’article 8 de la CEDH n’avait pas été violé et qu’aucune atteinte n’était portée à l’ordre public international. En considération de cette analyse, un spécialiste a pu à juste titre observer que « le raisonnement en termes de droits fondamentaux paraît avoir cédé devant les objectifs du droit international privé : continuité de traitement de la situation, respect de l’ordre du législateur étranger et, en conséquence, refus d’une adoption semi-boiteuse, car plénière en Allemagne et simple en France… » (10). Il reste cependant permis de se demander si, sur le terrain des droits fondamentaux, les prétentions de la fille adoptée, laquelle demandait à être remplie de sa réserve héréditaire dans la succession de son père biologique, n’auraient pas davantage pu prospérer sur le fondement de l’article 1er du protocole additionnel nº 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à la protection de la propriété, que sur celui de l’article 8 de ladite convention.

Par Éric FONGARO

LOI APPLICABLE AU RÉGIME MATRIMONIAL AVANT LA CONVENTION DE LA HAYE DU 14 MARS 1978

Civ. 1re, 3 octobre 2019, nº 18-22.945

Une des difficultés concernant la loi applicable au régime matrimonial est l’existence de trois corps de règles applicables selon la date de célébration du mariage. Ainsi, pour les époux mariés avant le 1er septembre 1992, la jurisprudence continuera à s’appliquer. Pour les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 s’appliquera la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Enfin, pour les époux mariés après le 29 janvier 2019, s’appliquera le règlement UE 2016/1103. Sachant que des passerelles existent en cas de changement volontaire de loi applicable au cours du mariage ! Cette affaire en est une parfaite illustration.

M. R… et Mme Q… se sont mariés en 1982, sans contrat préalable, en Algérie, où sont nés leurs trois enfants. Ils se sont installés en France en 1995 et ont acquis la nationalité française. Ils se sont opposés, après le prononcé de leur divorce, sur la détermination de leur régime matrimonial.

Cette affaire a déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation brisant une pratique notariale établie (11). En effet, les époux se sont mariés avant l’entrée en vigueur de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, soit sous l’empire de la jurisprudence. Or, les époux avaient effectué un choix de loi applicable contenue dans un acte d’achat d’un bien immobilier du 15 septembre 2000 et dans un acte de donation entre eux du 7 septembre 2001, au bénéfice de la loi française. Cette possibilité est envisagée par le jeu cumulé des articles 6 et 21 de la convention de La Haye. Celle-ci prévoit que quelle que soit la date du mariage, la convention s’appliquera à toute déclaration intervenant après son entrée en vigueur. Cependant, la Cour de cassation casse sur la forme ce choix de loi applicable. La déclaration mentionnée dans des actes notariés, poursuivant un autre objet, ne traduisait pas la volonté non équivoque des époux de soumettre leur régime matrimonial à une loi interne autre que celle le régissant jusqu’alors et ne pouvait constituer une stipulation expresse portant désignation de la loi applicable.

Restait donc à savoir quelle loi s’appliquait au régime matrimonial des époux, puisque le changement de loi ne produisait aucun effet.

Selon la jurisprudence, et en l’absence de contrat de mariage permettant de déterminer le choix de loi applicable effectué par les époux, il convient d’après les faits et circonstances, et notamment en tenant compte du domicile matrimonial des époux, de rechercher la volonté commune des époux de localiser les intérêts pécuniaires du ménage (12). Le premier domicile matrimonial est une présomption qui peut être renversée selon les circonstances. La Cour de cassation admet que l’on tire de faits postérieurs au mariage des éléments pour déterminer la volonté au jour du mariage des époux, « les présomptions tirées de faits postérieurs à l’union ne pouvant qu’éclairer la volonté des époux au moment du mariage » (13).

Cet arrêt reprend la jurisprudence. La Cour de cassation au visa de l’article 3 du Code civil énonce un attendu particulièrement clair : « Attendu que la détermination de la loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat, avant l’entrée en vigueur en France, le 1er septembre 1992, de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, doit être faite en considération, principalement, de la fixation de leur premier domicile matrimonial ; que cette règle ne constituant qu’une présomption, qui peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent, les juges du fond peuvent prendre en considération des circonstances postérieures au mariage si elles éclairent la volonté des époux quant à la localisation de leurs intérêts pécuniaires au moment de leur union ; que le rattachement du régime matrimonial légal ou conventionnel à la loi choisie par les époux à la date de leur union est permanent. » On peut d’ailleurs regretter que cet arrêt n’ait pas fait l’objet d’une publication au Bulletin.

Cependant, en l’espèce, la cour d’appel retient des éléments qui se sont produits plus de douze années après le mariage. La Cour de cassation casse l'arrêt et considère que ces circonstances étaient impropres à révéler que les époux avaient eu la volonté, au moment de leur mariage, de soumettre leur régime matrimonial à une autre loi que celle de l’Algérie, pays dans lequel ils avaient fixé le premier domicile matrimonial, stable et durable.

La solution doit bien sûr être approuvée, mais il reste que la détermination de la loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat avant le 1er septembre 1992 reste d’une application complexe pour les praticiens. Ainsi, à titre d’exemple, la Cour de cassation a pu prendre en compte, pour déterminer la loi applicable au moment du mariage, l’existence d’un acte notarié (14) élaboré deux ans après le mariage et désignant la loi applicable au régime matrimonial ; ou encore l’inscription au registre du commerce et les mentions dans un acte d’acquisition (15) ; mais aussi le fait de venir en France trois ans après le départ du pays d’origine, d’avoir acquis la nationalité française, d’avoir exercé une brillante carrière en France et d’avoir acquis un immeuble en France tout en n’ayant pas eu de domicile stable dans le pays d’origine (Afghanistan) montrait une volonté de localiser les intérêts pécuniaires du couple en France (16).

Il est donc plus simple de proposer aux époux un changement volontaire de loi applicable avec rétroactivité comme le permet depuis le 30 janvier 2019 le règlement (UE) nº 2016/1103 dans ses articles 22 et 69.3.

Par Hélène PEROZ

III – OBLIGATIONS ET BIENS

COMPÉTENCE : EXCEPTION AU PRINCIPE DE L’EXTENSION DES RÈGLES DE COMPÉTENCES TERRITORIALES. PARTAGE D’INDIVISION

Civ. 1re, 4 mars 2020, nº 18-24.646

Bien qu’il n’apparaisse pour le moment ni sur le site de la Cour de cassation, ni sur Légifrance (mais est répertorié dans différentes revues), voici un arrêt fort intéressant.

Une sentence arbitrale a condamné M. Z à payer une certaine somme à une société allemande. La société a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du code civil, afin de provoquer le partage judiciaire d’un bien immobilier situé à Issy-les-Moulineaux, propriété indivise de M. et Mme Z, mariés sous le régime de la séparation de biens. Les époux Z sont domiciliés en Algérie. Le juge français se déclare incompétent sur le fondement de l’article 1070 du Code de procédure civile au bénéfice des juridictions algériennes.

La Cour de cassation casse l’arrêt confirmatif de la cour d’appel.

La haute juridiction vise les principes qui régissent la compétence internationale, ensemble l’article 1070 du Code de procédure civile.

Selon les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français, celle-ci se détermine par l’extension des règles de compétence interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales.

Selon les arrêts Pelassa (Civ., 19 octobre 1959) et Scheffel (Civ., 30 octobre 1962), la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne. Cette jurisprudence ne s’applique qu’à défaut de règlements européens ou de conventions internationales applicables.

En l’espèce, le règlement (UE) 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis n’était pas applicable car les défendeurs n’étaient pas domiciliés dans l’Union européenne et que l’action en partage n’est pas assimilée à un droit réel immobilier (article 24 du règlement). Mais il faut considérer que si les défendeurs avaient été domiciliés dans un État membre de l’Union européenne, le règlement s’appliquait car l’action en partage d’un bien indivis entre dans le domaine matériel.

La jurisprudence a admis quelques rares exceptions à ce principe d’extension chaque fois que le critère de la compétence territoriale ne convenait pas à la spécificité du litige international. C’était le cas en matière de succession immobilière avant le règlement nº 650/2012 du 4 juillet 2012, en matière de clause attributive de juridiction, en cas d’urgence, ou de voies d’exécution pratiquées en France.

La Cour de cassation (17), dans cet arrêt, ajoute donc une exception au principe d’extension des règles de compétence territoriales internes pour déterminer les règles de compétence internationale directe.

« S’agissant d’une action en partage d’un bien immobilier situé en France, exercée sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, l’extension à l’ordre international des critères de compétence territoriale du juge aux affaires familiales, fondés sur la résidence de la famille ou de l’un des parents ou époux, n’était pas adaptée aux nécessités particulières des relations internationales, qui justifiaient, tant pour des considérations pratiques de proximité qu’en vertu du principe d’effectivité, de retenir que le critère de compétence territoriale devait être celui du lieu de situation de ce bien. »

Ainsi, en matière d’action en partage d’un bien immobilier indivis par un créancier, les tribunaux français seront compétents si l’immeuble est situé en France, quel que soit le domicile des parties.

Reste à savoir la portée de cet arrêt et notamment si la solution peut s’appliquer à d’autres actions en partage d’un bien immobilier en l’absence de règlements européens ou de conventions internationales.

Selon nous, cette jurisprudence ne pourra pas être appliquée en matière de partage successoral puisque cette dernière relève du règlement nº 650/2012 du 4 juillet 2012 (et donc de la compétence des tribunaux de la résidence habituelle du défunt). Il est vrai que le partage successoral n’est visé qu’à l’article 23-2-j du règlement qui concerne la portée de la loi applicable et non pas les règles de compétences des tribunaux. Mais nous considérons que si le règlement s’applique à la loi applicable au partage successoral, c’est qu’a fortiori, les règles de compétence prévues par le règlement s’appliquent à cette matière. Il en serait de même en matière de partage du régime matrimonial (article 27-e du règlement nº 2016/1103). Il faut remarquer que le partage du régime partenarial n’est pas envisagé à l’article 27 du règlement 2016/1104 qui ne vise que dans son point e « la division, la répartition ou la liquidation des biens après dissolution du partenariat enregistré ».
Par Hélène PEROZ

INTÉRÊT À AGIR EN EXEQUATUR : ABSENCE DE BIENS EN FRANCE

Civ. 1re, 26 juin 2019, pourvoi nº 17-19.240

Est-il possible de solliciter en France l’exécution d’un jugement étranger alors qu’il n’existe aucun bien saisissable en France ? L’intérêt à agir en exequatur en France se trouve-t-il caractérisé alors que le défendeur ne dispose d’aucun actif en France ? Plus avant, est-il permis d’octroyer l’exequatur à une décision étrangère, sans porter atteinte à l’ordre public international, alors que le jugement dont l’exequatur est demandé homologue deux sentences arbitrales rendues après retrait du vendeur de la procédure, sur le fondement des seuls éléments produits par l’acquéreur ? Telles étaient les questions auxquelles devait répondre l’arrêt rendu par la première chambre civile le 26 juin 2019.

En l’espèce, un Danois avait vendu un navire à un ressortissant américain. Un différend ayant opposé les parties, celles-ci avaient accepté de recourir à un arbitrage. Deux sentences ont alors été rendues, condamnant le vendeur au paiement de différentes sommes, lesquelles sentences furent homologuées par une juridiction des États-Unis. L’acquéreur saisit alors une juridiction française aux fins d’obtenir l’exequatur en France de la décision américaine, à l’exception du chef de condamnation au paiement de dommages-intérêts punitifs.

Si l’autonomie du régime procédural de l’action en exequatur par rapport à l’action sur le fond se retrouve sur les terrains de la compétence, de la recevabilité et du déroulement de l’instance devant le juge de l’exequatur, c’était notamment la recevabilité de l’action qui était en cause dans la présente affaire. À cet égard, on le sait, afin de pouvoir valablement agir en exequatur, le demandeur doit justifier d’un intérêt né, actuel et légitime. Au cas présent, la question se posait de l’existence même de l’intérêt à agir en exequatur.

Le demandeur avançait qu’il avait un intérêt né et actuel à solliciter l’exequatur en France du jugement étranger. Cependant, le défendeur, ne disposant d’aucun actif en France, soutenait que la décision américaine ne pouvait faire l’objet d’aucune exécution en France. Pour la juridiction ayant connu de l’affaire au second degré, la décision étrangère était susceptible de recevoir application sur le territoire français, sans que soit exigée la démonstration de l’existence actuelle de biens saisissables en France. Son arrêt se trouve approuvé par la cour régulatrice, selon laquelle l’intérêt à agir existe dès lors que le demandeur à l’exequatur est la partie au procès au profit de laquelle la décision étrangère a été rendue. Il s’ensuit, selon la première chambre civile, que la demande d’exequatur en France d’une décision étrangère n’est pas soumise à l’exigence de détention sur le territoire français d’actifs pouvant faire l’objet de mesures d’exécution forcée. À la vérité, la solution n’est pas nouvelle. Aussi bien, des juridictions du fond s’étaient déjà prononcées en ce sens par le passé (18). Il ressort à cet égard de la jurisprudence que seul le caractère exécutoire de la décision étrangère dans son État d’origine suffit à faire naître l’intérêt du bénéficiaire de ladite décision à agir en exequatur. Pas plus la nationalité française ou la résidence en France de celui qui agit en exequatur, que la preuve de la présence de biens du débiteur sur le territoire français, ne constituent des conditions nécessaires à la naissance de l’intérêt à agir en exequatur.

Plus avant, la Cour de cassation avait à se prononcer, dans la présente affaire, sur une éventuelle atteinte à l’ordre public international de procédure. Sur ce point, l’on sait, depuis l’arrêt Bachir (19), que « si le juge de l’exequatur doit vérifier si le déroulement du procès devant la juridiction étrangère a été régulier, cette condition de régularité doit s’apprécier uniquement par rapport à l’ordre public international français et au respect des droits de la défense ». Quant aux solutions avancées en la matière, celles-ci sont à rechercher dans les décisions rendues par les juridictions françaises, lesquelles doivent au demeurant tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. À cet égard, depuis l’arrêt Pellegrini (20), tout juge d’un État partie à la Convention européenne des droits de l’homme doit vérifier, à l’occasion d’une action en exequatur, que la procédure ayant conduit à la décision étrangère respecte bien les prescriptions de l’article 6 relatives au droit à un procès équitable.

En l’espèce, le demandeur au pourvoi, qui invoquait une prétendue violation de l’ordre public international de procédure, avait bien participé à la procédure arbitrale avant de s’en retirer et avait été informé des voies de recours qui lui étaient ouvertes. Au demeurant, la décision étrangère lui avait été régulièrement signifiée. Aucune atteinte à l’ordre public de procédure ne se trouvait donc caractérisée.

Par Éric FONGARO

PRÊTS EN FRANCS SUISSES

Civ. 1re, 22 mai 2019, nº 17-23663 – Civ. 1re, 10 octobre 2019, nº 17-20.199 – Civ. 1re, 24 octobre 2019, nº 18-18.047 – Civ. 1re, 24 octobre 2019, nº 18-12.255 – Civ. 1re, 27 novembre 2019, nº 18-19.678

La crise des dettes souveraines ayant affecté certains États de la zone euro a relativement peu retenu l’attention des interprivatistes. Elle n’a cependant pas manqué d’alimenter la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment par une série d’arrêts relatifs à des contrats de prêts libellés en francs suisses, s’inscrivant dans la lignée des décisions inaugurées par le fameux arrêt des Messageries maritimes (21). Certes, aujourd’hui, l’article 1343-3 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, et heureusement modifié par la loi du 20 avril 2018, dispose que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ». Cependant, en raison de la date des contrats de prêts litigieux dans les affaires dont avaient à connaître la Cour de cassation, le texte susmentionné n’avait pas vocation à s’appliquer. Les sources du droit applicables en la matière étaient donc à rechercher dans la jurisprudence, non seulement des juridictions françaises, mais également de la Cour de justice de l’Union européenne.

À cet égard, on rappellera tout d’abord que lorsqu’un emprunt n’est pas un emprunt international, le paiement ne peut avoir lieu en France qu’en euros, une devise étrangère ne pouvant servir que de monnaie de compte. Tel est le sens de l’arrêt de la première chambre civile du 27 novembre 2019 (nº 18-19.678). Dans cette affaire, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes des contrats de prêts, la cour d’appel avait estimé que la devise étrangère était utilisée comme monnaie de paiement, et non comme monnaie de compte, de sorte que les contrats étaient nuls. La cour régulatrice rejette donc le pourvoi. Le franc suisse étant utilisé comme monnaie de paiement et non comme monnaie d’évaluation, les trois contrats étaient entachés de nullité absolue, et les emprunteurs devaient rembourser le montant du capital reçu selon sa valeur à la date des prêts.

Mais à supposer la monnaie de paiement stipulée en euros et la monnaie de compte en francs suisses, toutes difficultés ne se trouvaient pas levées, le décrochage de l’euro par rapport au franc suisse entraînant un risque de change pouvant être ruineux pour l’emprunteur. Face à une telle situation, nombre de plaideurs invoquent le caractère abusif des clauses litigieuses, ainsi que la violation, de la part des banquiers, de leurs obligations d’information, de conseil et de mise en garde.

De façon générale, la Cour de cassation approuve les juridictions du fond d’écarter la qualification de clause abusive dès lors que la clause en question ne crée pas de déséquilibre significatif entre le prêteur et l’emprunteur car ne mettant pas à la seule charge de celui-ci toute évolution du taux de change (22). Cependant, à la vérité, la qualification de clause abusive et le respect de leurs obligations d’information, de conseil et de mise en garde par les banquiers se trouvent imbriqués. Par un arrêt en date du 20 septembre 2017 (23), la Cour de justice de l’Union européenne avait pu dire pour droit que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d’“objet principal du contrat”, au sens de cette disposition, couvre une clause contractuelle insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat et que, par conséquent, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible ». À cet égard, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 octobre 2019 (nº 18-12.255), non seulement la clause litigieuse permettait de définir l’objet principal du contrat, mais, en outre, l’offre préalable expliquait sans équivoque le fonctionnement du prêt libellé en devise et détaillait les opérations de change réalisées au cours de la vie du contrat. Les emprunteurs se trouvaient au demeurant en mesure de se convaincre de la variabilité du taux et de ses conséquences sur le remboursement du capital par la lecture des documents annexés à l’offre, de sorte que, plus avant, la banque n’avait nullement manqué à son devoir de mise en garde. C’est également en se fondant sur l’arrêt Andriciuc que la première chambre civile rejette le pourvoi de l’emprunteur, dans l’arrêt du 10 octobre 2019 (nº 17-20199), en observant notamment que ledit emprunteur avait bien été informé. Dans le même esprit, l’arrêt du 24 octobre 2019 (nº 18-18.047) souligne que les clauses concernées, portant sur l’objet principal du contrat, et considérées comme claires et compréhensibles, ne pouvaient être regardées comme abusives. Les opérations de change étaient clairement décrites dans l’offre de prêt. L’emprunteur avait été précisément et expressément informé sur le risque de variation du taux de change. L’offre contenait l’information selon laquelle le prêt avait un taux révisable. Les annexes à l’offre faisaient référence à l’indice de variation du taux de change, et contenaient une simulation chiffrée. La clause litigieuse était claire et précise sur les risques de change. Au demeurant, ainsi que l’indique la première chambre civile, il ne saurait être reproché à la banque de ne pas avoir anticipé le décrochage de l’euro par rapport au franc suisse en raison de la crise de la dette souveraine de certains pays la zone euro, l’événement étant imprévisible.

Au regard de ce qui précède, on retiendra que dès lors que la monnaie de paiement est bien l’euro, que la clause litigieuse ne caractérise pas une clause abusive, et que le banquier a bien rempli ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde, le contrat de prêt ne saurait être annulé en raison du décrochage de l’euro par rapport au franc suisse utilisé seulement comme monnaie de compte. Néanmoins, il est permis de se demander si le dernier arrêt en date (24), du 27 novembre 2019, parmi la lignée examinée ci-dessus, n’est pas appelé à marquer une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question envisagée. En effet, il n’est pas toujours évident, à la lecture de certaines décisions antérieures à ce dernier arrêt, de voir en quoi le franc suisse ne constituait pas, en réalité, la monnaie de paiement, et non une seule monnaie d’évaluation. Ainsi, dans l’arrêt du 24 octobre 2019 (nº 18-12.255), lorsqu’il est mentionné que « les parties sont expressément convenues que le paiement des échéances par l’emprunteur devait être effectué en euros pour être ensuite converti en francs suisses et permettre le remboursement du capital emprunté dans cette devise ». La décision du 27 novembre 2019, en ce qu’elle considère que le franc suisse constituait, dans l’affaire dont avaient à connaître les magistrats, la monnaie de paiement, ne tendrait-elle pas illustrer une tendance vers une analyse plus rigoureuse des clauses ayant donné lieu à une jurisprudence aussi nourrie ?

Par Éric FONGARO

OBLIGATIONS CONTRACTUELLES

Civ. 1re, 16 mai 2019, nº 18-12.005

Par acte notarié, une banque de nationalité française consent à une SCI de droit français un prêt garanti par une hypothèque portant sur une villa située en France. Aux termes d’une clause contractuelle, le contrat de prêt se trouve soumis au droit de Singapour. Suite, semble-t-il, à un défaut de paiement, la banque fait délivrer un commandement valant saisie immobilière du bien hypothéqué, puis en vient à assigner la société emprunteuse qui invoquait la nullité du contrat à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution. Déboutée une première fois devant ce juge et une deuxième fois en appel, la SCI se pourvoit en cassation, faisant notamment grief à l’arrêt de déclarer irrecevable pour nouveauté le moyen tiré de l’article 3, paragraphe 3, du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles (25), lequel dispose que si le contrat est régi par la loi choisie par les parties, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne doit pas porter atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne peut pas déroger par accord.

Au regard de ces éléments, il aurait été intéressant de savoir si, au cas présent, bien que le contrat ait été soumis au droit singapourien, les règles d’ordre public économique français avaient, ou non, vocation à s’appliquer. Las, pour raisons procédurales, le moyen tiré dudit article 3, paragraphe 3, était irrecevable.

Plus avant, la SCI, invoquant la nullité du contrat, s’était vu opposer la prescription des moyens de nullité. Sur ce point, la cour d’appel avait, semble-t-il, retenu qu’il résultait des conditions générales du contrat de prêt que les parties étaient seulement convenues de soumettre leurs obligations respectives aux lois de Singapour, et qu’aucune disposition contractuelle ne permettait d’étendre la clause de choix de loi à la procédure d’exécution forcée mise en œuvre par la banque, titulaire d’une sûreté réelle sur un bien situé en France.

S’il ne faisait aucun doute que la loi applicable à la procédure d’exécution forcée devait être clairement distinguée de la loi applicable au contrat, et ne pouvait, en l’espèce, relever que de la loi française, le fondement juridique avancé par la juridiction du second degré ne pouvait emporter la conviction. Dès lors que le contrat se trouvait soumis à la loi singapourienne, les règles applicables à la prescription de la nullité dudit contrat, invoquée par la société emprunteuse, ne pouvaient elles-mêmes être recherchées que dans la loi singapourienne. En effet, l’article 12 du règlement Rome I, relatif au domaine de la loi du contrat, prescrit bien que « la loi applicable au contrat régit notamment les divers modes d’extinction des obligations, ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l’expiration d’un délai et les conséquences de la nullité du contrat ». La décision de la Cour de cassation ne peut donc être qu’approuvée en ce qu’elle censure à juste titre l’arrêt d’appel pour défaut de base légale.

Par Éric FONGARO

COMPÉTENCE EN MATIÈRE D’ANNULATION D’UNE PROCURATION POUR INSANITÉ D’ESPRIT. APPLICATION DU RÈGLEMENT BRUXELLES I

Civ. 1re, 13 mai 2020, nº 19-10.448

Cet arrêt porte sur la compétence internationale des tribunaux, mais son incidence en gestion du patrimoine est importante. Nous irons à l’essentiel.

M… G… a donné procuration à son épouse de vendre en viager, à leur fille et son époux, domiciliés en Espagne, un bien immobilier dont ils étaient propriétaires, situé dans ce pays.

Après le décès de ses parents, M. Q… G… a, par acte du 11 décembre 2014, assigné sa sœur et son époux devant le tribunal de grande instance de Bayonne pour obtenir, à titre principal, l’annulation de la procuration pour cause d’insanité d’esprit de son auteur et, à titre subsidiaire, la requalification de la vente en libéralité.

Le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bayonne du 15 décembre 2016 se déclare incompétent pour connaître du litige et désigne le tribunal d’Alicante (Espagne) compétent.

La cour d’appel de Pau infirme l’ordonnance et se déclare compétente en application des articles 14 et 15 du Code civil au motif que la demande tend à remettre en cause l’acte intitulé cession de biens moyennant rente.

La Cour de cassation casse sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel de Pau au visa des articles 1 et 3.2 du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I (le visa aurait été les articles 1 et 5-1 du règlement (UE) 1215/2012 dit Bruxelles I bis, s’il avait été applicable et qui prévoit la même solution).

La Cour de cassation vise également « le principe de perpétuation de la compétence selon lequel l’acte introductif d’instance fixe la saisine du tribunal et détermine la compétence pendant la durée de l’instance ».

La haute juridiction considère que la demande principale en annulation de la procuration donnée par M… G…, dont le consentement aurait été vicié pour cause d’insanité d’esprit, fixait la compétence dès l’introduction de l’instance et relevait du champ matériel du règlement nº 44/2001, applicable à la date d’introduction de la demande, et qu’une règle de compétence nationale ne pouvait être invoquée contre M. et Mme H… B… domiciliés dans un autre État membre de l’Union européenne. La cour d’appel a donc violé les textes susvisés.

Pour déterminer la compétence, il faut donc se référer aux demandes contenues dans le seul acte introductif d’instance, c’est-à-dire au moment où le juge a été saisi. Si un événement ultérieur fait disparaître l’élément sur lequel reposait sa compétence, le principe est que le juge reste compétent : c’est ce que l’on dénomme le principe de perpetuatio fori est le « principe selon lequel la compétence d’une juridiction reste acquise alors même que les circonstances sur lesquelles elle se fonde viendraient à disparaître après l’introduction de l’instance » (26).

Ainsi c’est la demande principale en annulation de la procuration donnée par le vendeur dont le consentement aurait été vicié pour cause d’insanité d’esprit qui fixe la compétence dès l’introduction de l’instance. La haute juridiction considère qu’une telle demande relève du champ matériel du règlement nº 44/2001. Or, si le règlement de Bruxelles (maintenant Bruxelles I bis) s’applique bien en matière civile et commerciale, il a toujours exclu de son domaine matériel l’état et la capacité des personnes physiques (article 1).

La solution de la Cour de cassation peut donc surprendre et nous semble critiquable. On se souvient qu’en matière de conflit de lois, la demande en annulation d’un acte vicié pour insanité d’esprit ne relève pas de la catégorie contrat mais de la catégorie capacité. « L’insanité d’esprit et la démence relevaient en réalité des cas d’incapacité naturelle soumis à la loi personnelle et non à la loi régissant les actes juridiques incriminés comme les vices du consentement » (27).

Pour autant, la Cour de cassation applique la règle de compétence générale du règlement de Bruxelles I, la demande ne relevant pas de règles spéciales. Les défendeurs étant domiciliés en Espagne, les tribunaux français n’étaient donc pas compétents.

Si la Cour de cassation décide que le règlement de Bruxelles I s’applique, c’est qu’elle considère que la question ne relève pas de la capacité, qui est exclue du domaine matériel du règlement, mais relève du contrat. Force est de constater que la Cour de cassation reprend une jurisprudence de la CJUE (CJUE, 16 nov. 2016, Wolfgang Schmidt, Aff. C-417/15) par laquelle une action en annulation d’un acte de donation d’un immeuble pour incapacité de contracter du donateur relève du règlement Bruxelles I. La Cour de justice considère que « si l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de ce règlement exclut du champ d’application de celui-ci notamment l’état et la capacité des personnes physiques, il n’en reste pas moins que, ainsi que Mme l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 27 à 31 de ses conclusions, la détermination de la capacité de contracter du donateur constitue, dans le cadre d’une action comme celle en cause au principal, non pas l’objet principal de cette action, lequel a trait à la validité juridique d’une donation, mais une question préalable ».

Or, en matière de compétence, le juge saisi de la question principale est également compétent pour les questions préalables. Concernant la loi applicable, la question devrait toujours relever de la capacité. En effet, selon la jurisprudence (28), il faut appliquer la règle de conflit de lois du for propre à la question principale et appliquer la règle de conflit de lois du for propre à la question préalable. En l’espèce, s’appliquerait la règle de conflit du for appropriée. Or, l’insanité d’esprit relève de l’article 3 du Code civil et non pas de la convention sur la protection des adultes de 2000 qui ne concerne que la représentation et l’assistance des majeurs protégés.

Par Hélène PEROZ

NOTES :

1 Décision nº 2011-159 QPC du 5 août 2011, Mme Elke B. et autres. JO 6 août 2011 ; JCP N 2011. 1236, note E. Fongaro et 1256, § 7, note H Péroz ; JCP 2011. 1139, note Attal ; Defrénois 2011. 1351, note Revillard ; AJ fam. 2011. 440, obs. Haftel et Boiché ; D. 2012. 1228, obs. Gaudemet-Tallon ; JDI 2012. 145, note Godechot-Patris ; D&P 2011. 93, note Ancel ; Rev. crit. DIP 2013. 457, note Ancel.
2 Civ. 1re, 27 septembre 2017, nº 16-17.198 et nº 16-13.151. D. 2017. 2185, note J. Guillaumé, 2018. 966, spéc. 971, obs. S. Clavel, et 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2017. 595, 510, obs. A. Boiché, et 598, obs. P. Lagarde, A. Meier-Bourdeau, B. Savouré et G. Kessler ; Rev. crit. DIP 2018. 87, note B. Ancel ; RTD civ. 2017. 833, obs. L. Usunier, et 2018. 189, obs. M. Grimaldi ; RTD com. 2018. 110, obs. F. Pollaud-Dulian).
3 Sur les difficultés pratiques : E. Fongaro, « La réserve héréditaire ne relève pas, en principe, de l’ordre public international », JCP N nº 45, 10 novembre 2017, 1305. Voir aussi E. Fongaro et E. Naudin, « Comment calculer le montant de la réserve héréditaire en cas d’atteinte à l’ordre public international ? », JCP N nº 20, 17 mai 2019, 1193 ; C. Deneuville et S. Godechot-Patris, « Le choix d’une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire », JCP N 2018. 1239, nº 26 ; C. Nourissat et M. Revillard, « La réserve héréditaire à l’épreuve de l’exception d’ordre public international », JCP G nº 47, 20 novembre 2017, 1236.
4 Encore récemment, D. Boden, « Requiem pour l’Inlandsbeziehung », Rev. crit. DIP 2018. 882.
5 Pour une interprétation plus mesurée, E. Fongaro, « Le rapport sur la réserve héréditaire et le droit international », Ingénierie patrimoniale, nº 2-2020, p. 212.
6 JOUE du 23/09/2019, L. 243/9.
7 Déjà, Civ. 1re, 9 juillet 2008, nº 07-20.279 ; Civ. 1re, 10 octobre 2006, nº 06-15.265.8 Civ. 1re, 3 mars 1987 : Rev. crit. DIP 1988, p. 695, note M. Simon-Depitre ; JCP 1989, II, 21209, note E. Agostini.
9 V. par ex. Michel Farge, Revue de droit de la famille, nº 1, janvier 2020, p. 56, comm. 22.
10 M. Farge, op. cit.
11 Civ. 1re, 13 décembre 2017, nº 16-27.216.
12 Req, 4 juin 1935, Zelcer.
13 Civ. 1re, 2 déc. 1997, pourvoi nº 95-20.308, op. cit. – Déjà Civ. 1re, 9 oct. 1991, Diermeir : Rev. crit DIP 1992, 479, note G. Khairallah ; Defrénois 1992, 35, note M. Revillard ; Civ. 1re, 13 déc. 1994, Épx Bezzai-Dalle : Rev. crit. DIP 1995, 319, note M. Revillard.
14 Civ. 1re, 9 oct. 1991, Diermeir : Rev. crit DIP 1992, 479, note G. Khairallah ; Defrénois 1992, 35, note M. Revillard.
15 Civ. 1re, 13 déc. 1994, Épx Bezzai-Dalle : Rev. crit. DIP 1995, 319, note M. Revillard.
16 Civ. 1re, 28 janvier 2015, nº14-11.273, note E. Fongaro in « Chronique de droit international privé notarial », JCP N 2015.1235.
17 A. Devers, « Action en partage d’un bien immobilier situé en France », Droit de la famille nº 6, juin 2020, comm. 97.
18 CA Paris, 27 juin 1964 : Rev. crit. DIP 1965, p. 366, 2e esp., note Loussouarn ; JDI 1965, p. 411, note Sebag – TGI Paris, 11 juillet 1979 : Rev. crit. DIP 1981, p. 102, note Gaudemet-Tallon – cependant, contra, CA Paris, 7 novembre 1957 : Rev. crit. DIP 1959, p. 319, note Bellet ; JDI 1960, p. 170, obs. Sialelli.
19 Cass. civ., 4 octobre 1967 : Rev. crit. DIP 1968, p. 98, note Lagarde ; JDI 1969, p. 102, note Goldman ; D. 1968, p. 95, note Mezger ; JCP 1968, II, 15634, note Sialelli.
20 CEDH, 20 juillet 2001 : Rev. crit. DIP 2004, p. 106, note Christians.
21 Cass. civ., 21 juin 1950 : Rev. crit. DIP 1950, p. 609, note Batiffol ; D. 1951, p. 749, note Hamel ; S. 1952, 1, 1, note Niboyet ; JCP 1950, II, 5812, note J. Ph. Lévy.
22 V. par ex. Civ. 1re, 22 mai 2019, nº 17-23 663.
23 CJUE, 20 septembre 2017, Andriciuc
e. a. C-186/16.
24 Civ. 1re, 27 novembre 2019, nº 18-19.678.
25 Règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
26 L. Usunier, Civ. 1re, 5 décembre 2012, nº 11-18.169, Journal du droit international (Clunet) nº 3, juillet 2013, comm. 12.
27 Civ., 25 juin 1957, Sylvia, G. A., nº 29.
28 Civ. 1re, 3 janvier 1980, Bendeddouche, GA nº 61.

Droit Privé Droit international privé (DIP)