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Cartographie des directions juridiques 2021 : gestionnaires du risque et acteurs de la sortie de crise

Par AURÉLIA GRANEL

Présentés dans les locaux du cabinet Baker McKenzie, les résultats de la 7e édition de la Cartographie des directions juridiques apportent un nouvel éclairage sur les tendances et les évolutions, en France, de la fonction juridique dans les entreprises. Revue des principaux enseignements d’un travail d’enquête mené auprès de 248 directeurs juridiques, par Lexqi Conseil, en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE.

Cartographie des directions juridiques 2021 : gestionnaires du risque et acteurs de la sortie de crise

Présentés dans les locaux du cabinet Baker McKenzie, les résultats de la 7e édition de la Cartographie des directions juridiques apportent un nouvel éclairage sur les tendances et les évolutions, en France, de la fonction juridique dans les entreprises. Revue des principaux enseignements d’un travail d’enquête mené auprès de 248 directeurs juridiques, par Lexqi Conseil, en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE.

«La pandémie n’a pas dévoilé de nouveaux terrains de jeux pour les directeurs juridiques (digitalisation, compliance) ou créé des nouveaux métiers (legal ops, DPO, etc.), mais a sans aucun doute servi d’accélérateur à toutes ces tendances que l’on voyait se dessiner avant la crise sanitaire », constate Laure Lavorel, directrice juridique de Broadcom et présidente du Cercle Montesquieu. Compte tenu du contexte exceptionnel, l’enquête 2021 est publiée trois ans après la dernière édition et s’intéresse plus particulièrement à la manière dont les directions juridiques se sont organisées pour affronter la pandémie, ainsi qu’au rôle du directeur juridique en tant que gestionnaire du risque dans l’entreprise. Lors du sondage, 50 % des directeurs juridiques interrogés ont déclaré que le périmètre de leur direction juridique a été impacté par la pandémie, à travers leur sollicitation sur de nouveaux domaines du droit. Pour y faire face, 27 % d’entre eux ont pu recruter de nouveaux juristes dans leur équipe, tandis que 8 % ont été contraints de mettre des juristes en chômage partiel et que 14 % ont dû réduire leur effectif. Les directions juridiques ont en outre rapporté une visibilité accrue de leur fonction dans ce nouveau contexte. Ainsi, en 2020, quatre entreprises sur cinq ont mis en place une cellule de gestion de crise pour affronter la pandémie et les directeurs juridiques ont participé à cette cellule dans deux entreprises sur trois.

La crise sanitaire a par ailleurs été un accélérateur de la digitalisation des directions juridiques. En 2020, 92 % des directeurs juridiques du panel avaient déjà lancé un projet de transformation des méthodes de travail des juristes utilisant une ou plusieurs des technologies numériques avancées, contre 75 % en 2018. Il s’agit essentiellement de la signature électronique de documents (81 % en 2020, contre 38 % en 2018), de l’e-learning juridique (47 % en 2020, contre 38 % en 2018) et de la gestion électronique de documents (40 % en 2020, contre 47 % en 2018). Quelque 78 % envisagent de poursuivre la digitalisation de la fonction d’ici 2022. « Les directions juridiques sont plus opérationnelles qu’auparavant et nous le percevons sur la question de la digitalisation, souligne Marc Mossé, senior director government affairs, associate general counsel chez Microsoft Europe et président de l’AFJE. S’il s’agit, pour l’instant, d’une indispensable digitalisation linéaire, c’est-à-dire une numérisation de ce qui existe déjà sur support papier, l’étape suivante sera celle des activités. Grâce au numérique, les directions juridiques vont devenir des incubateurs d’innovation dans l’entreprise : elles incuberont des nouvelles pratiques qu’elles pourront adosser à l’outil numérique, notamment grâce à l’intelligence artificielle. ».

Une fonction stratégique axée sur la gestion du risque

Cette 7e édition de la cartographie des directions juridiques révèle que la fonction juridique est au cœur des stratégies de gestion du risque dans l’entreprise. En 2020, 85 % des entreprises du panel ont déployé un programme de conformité. Cette proportion s’élève à 95 % pour les entreprises de plus de 5 000 salariés. Et lorsqu’un sinistre est survenu dans l’un des domaines couverts par le plan de conformité, trois directeurs juridiques sur quatre sont directement intervenus. « À l’évocation de la description de leur rôle en cas de survenance d’un sinistre, les mots qui revenaient le plus souvent lors du sondage étaient ‘conseil, stratégie, coordination et pilotage des actions’, indique Hélène Trink, fondatrice de LEXqi Conseil. Le directeur juridique n’est plus seulement attendu pour son expertise technique ou son rôle de conseil à la direction générale, mais aussi pour sa capacité à définir la stratégie de gestion du sinistre et à piloter et coordonner les actions de prévention et de remédiation ». Les principaux risques que la direction juridique est amenée à gérer correspondent notamment à la protection des données (82 %), la lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme (66 %) et aux aspects RSE/gouvernance (61 %).

Sans surprise, les tendances d’évolution de la fonction de directeur juridique des éditions précédentes se confirment dans cette nouvelle cartographie. Ce métier est, d’une part, de plus en plus tourné vers l’international : 75 % des directeurs juridiques ont un périmètre géographique qui s’étend au-delà de la France, contre 70 % en 2018. Ensuite, cette fonction est plus stratégique que par le passé. Trois directeurs juridiques sur quatre sont impliqués dans les instances dirigeantes (comex/codir) de leur entreprise, contre deux sur trois en 2018. Enfin, son périmètre fonctionnel se consolide, les domaines de la conformité/éthique/compliance et celui des données personnelles étant aujourd’hui rattachés aux directions juridiques dans 77 % des cas, contre environ 70 % en 2018. « Les résultats de cette enquête confirment que, pour de nombreuses entreprises, la fonction juridique est, dans toute la France, un moteur de leur compétitivité et que le rôle du directeur juridique est de plus en plus stratégique pour leur fonctionnement. C’est une tendance observée depuis plusieurs années, que la crise sanitaire est venue renforcer, déclare Marc Mossé. La valeur ajoutée de la direction juridique au sein d’une entreprise est désormais mieux reconnue et son périmètre d’intervention étendu, en raison de l’appréhension de nouveaux domaines (compliance, devoir de vigilance, RSE, données personnelles, etc.) par les sociétés. Nul doute que les juristes s’empareront de nouveaux sujets prochainement, notamment de la question de la cybersécurité ».

Les ratios-clés de gestion de la direction juridique

L’étude fournit également des informations sur la structure et les coûts des directions juridiques, en fonction des tailles et secteurs des entreprises. Les dépenses juridiques totales s’élèvent en moyenne à 0,17 % du chiffre d’affaires (CA) de l’entreprise – un ratio stable depuis 2013. « Face à l’incertitude économique et à l’évolution des réglementations perçues comme de plus en plus nombreuses et complexes, ainsi qu’à l’accroissement des risques de sanctions, notamment administratives, l’appréhension des enjeux juridiques par les instances dirigeantes des entreprises est une nécessité, d’où la montée en puissance des directions juridiques dans les comex – moins dans les conseils d’administration – et sur l’analyse du risque, souligne Laure Lavorel. Malgré l’allocation d’un budget extrêmement faible – on est loin des chiffres de l’Allemagne et de certains pays anglo-saxons –, les entreprises investissent plus qu’avant dans leur direction juridique ». En rapportant l’effectif des juristes au CA, on compte en effet aujourd’hui 10  juristes par milliard d’euros de CA, contre 7 juristes en 2013, soit une progression de 42 % en sept ans. Notons également que les juristes représentent 83 % de l’effectif de la direction juridique, contre 80 % en 2013. La fonction de legal ops, par exemple, existe aujourd’hui dans une direction juridique sur cinq, en progression depuis 2018 où le ratio était d’une sur six. Ce métier est particulièrement présent dans les directions juridiques France et monde des sociétés du CAC 40/SBF 120 et celles des entreprises publiques/semi-publiques. Enfin, les dépenses internes de la direction juridique constituent 67 % du total de ses dépenses, contre 60 % en 2013. « L’évolution du taux entre ces deux dates témoigne d’une internalisation croissante des dépenses, liée non seulement aux recrutements sur la période donnée, pour prendre notamment en charge de lourds sujets de compliance et de gestion du risque, mais probablement aussi à une volonté de réduire les coûts en période de crise », commente Hélène Trink, fondatrice de LEXqi Conseil.

Enfin, soulignons que la cartographie a analysé la direction juridique comme centre de profits. Quelque 30 % des sondés ont indiqué avoir discuté et assuré un suivi financier avec leur direction financière ou générale sur la prise en compte, dans leur budget, de rentrées financières consécutives aux actions de la direction juridique. En revanche, seuls 9 à 12 % des répondants déclarent ces discussions suivies d’effet, avec une intégration effective dans le budget.

A noter :

Cette 7e édition de la Cartographie des directions juridique a mobilisé 248 directeurs juridiques – sur les 830 qui sont membres de l’AFJE et du Cercle Montesquieu ayant reçu le sondage réalisé par voie électronique du 21 mai au 13 juin 2021 – travaillant pour des entreprises dont le chiffre d’affaires médian s’élève à 1 Md€. Leurs équipes représentent 7 200 juristes à travers le monde, dont 3 000 juristes en France (soit 17 % de l’effectif de la profession). Le comité de pilotage était constitué de Nathalie Debeir, directrice juridique adjointe du groupe Renault et administrateur du Cercle Montesquieu, Marie Batut-Dajean, co-présidente de la commission management du Cercle Montesquieu, et François Lhospitalier, vice-président de l’AFJE.