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Vous êtes anxieux ? La Cour de cassation vous conseille d’assigner…

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1398 du 27 mai 2019
Par Sylvie Gallage-Alwis, Avocat Associé, Signature Litigation.

La décision de l’Assemblée Plénière du 5 avril 2019 fait trembler les entreprises ayant des sites de production en France. La Cour a en effet élargi la possibilité pour des salariés d’agir à leur encontre sur le fondement de l’anxiété de développer une maladie dans le futur, rendant toute exposition à une substance source de contentieux.

Cette jurisprudence s’est développée dans le cadre du contentieux de l’amiante. Depuis le 11 mai 2010, la chambre sociale de la Cour de cassation estime que les salariés qui ont pu être exposés pendant leur carrière sont légitimes à invoquer une « inquiétude permanente » de développer une maladie (pourvois 09-42241 & suiv.). La Cour avait élaboré un régime juridique dérogatoire, marqué par une triple présomption à l’encontre de l’employeur : de manquement à son obligation de sécurité, de préjudice et de lien de causalité. La présomption de préjudice était en pratique irréfragable, la Cour estimant que le demandeur n’avait pas à le prouver au travers d’éléments médicaux (pourvoi 11-26294). Le manquement à l’obligation de sécurité était également source de difficultés, les juridictions estimant qu’il s’agissait d’une obligation de résultat. Quelle société pouvait produire des preuves complètes et non critiquables datant des années 70 et 80 ? Où se trouve la cause étrangère dans le cas d’une substance légale ? La défense de l’entreprise était donc ardue sur le fond.

Les entreprises se sont alors concentrées sur d’autres moyens de défense. La prescription (pourvoi 12-29788) et le fait que le salarié ait signé une transaction au moment de son départ par lequel il renonçait à tout recours futur sur le fondement de l’exécution de son contrat de travail (pourvoi 15-20040) sont devenus des moyens de défense efficaces.
Ce qui rassurait le plus les entreprises, était cependant le fait que seuls les salariés de sites listés par arrêté ministériel comme ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante étaient éligibles. Il s’agissait du seul élément réellement prévisible d’un contentieux imprévisible. L’entreprise pouvait connaître le nombre de demandeurs potentiels et la date à laquelle les assignations devaient cesser du fait de la prescription. L’entreprise savait aussi que seul l’amiante pouvait générer ce contentieux étant donné son régime dérogatoire et les affirmations de la Cour en ce sens.
Le 5 avril 2019, l’Assemblée Plénière a pourtant décidé d’ouvrir la porte à une nouvelle vague de contentieux et d’incertitudes juridiques. La Cour a ainsi jugé que tous les salariés, y compris que ceux qui n’ont pas travaillé sur un site inscrit dans les arrêtés ministériels, peuvent agir au titre de l’anxiété.

On comprend ici que toutes les entreprises qui ont pu, même ponctuellement, utiliser de l’amiante deviennent à risque. Plus inquiétant, la Cour, dans sa façon de rédiger son arrêt, ouvre la porte à des demandes au titre d’autres substances. En effet, la cour indique que l’exposition au risque et l’anxiété associée doivent relever des règles du droit commun. Certes, cet appel à l’application du régime de la responsabilité civile classique avec une absence de renversement de la charge de la preuve et une exigence que le salarié prouve son anxiété sont les bienvenus. Il en est de même de la confirmation que l’obligation de sécurité est une obligation de moyens et non plus de résultat.

Cependant, ces nouveaux contentieux seront menés devant des juridictions qui ont pour habitude de condamner les entreprises et dans un contexte où toutes les substances chimiques sont perçues comme nocives par la société. Rappelons que l’amiante était légal et que les demandeurs en cause ne sont pas malades. Ceci n’a pas empêché la condamnation quasi-systématique de toutes les sociétés alors même que l’état a été jugé responsable de ne pas avoir légiféré convenablement. On ne peut donc qu’être pessimiste même si les moyens de défense possibles seront nombreux. à surveiller donc…

Jurisprudence Cour de cassation Signature Litigation Sylvie Gallage-Alwis LJA1398