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Retour sur les incertitudes relatives aux contours de l’exercice du retrait litigieux au stade du contrôle, par le juge français, d’une sentence arbitrale internationale

Par Thierry Tomasi, associé et Lisa Stefani, avocate, cabinet Herbert Smith Freehills

Ces incertitudes proviennent de ce que la Cour de cassation a jugé, par deux arrêts du 28  février  2018, que la cour d’appel saisie d’un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale, ou de l’appel d’une ordonnance d’exéquatur, doit examiner la demande de retrait litigieux formulée par le débiteur condamné par ladite sentence sur le fondement de l’article  1699 du Code civil1.

Dans cette affaire, une société avait engagé à l’encontre d’un État deux arbitrages ayant pour siège Paris et Zurich, puis cédé sa créance à un tiers. Condamné, l’État a engagé un recours en annulation à l’encontre de la sentence rendue à Paris et fait appel de l’ordonnance d’exequatur de la sentence rendue à Zurich. Devant la cour d’appel de Paris, l’État a exercé le droit de retrait litigieux prévu par l’article 1699, qui permet au cédé, en cas de cession d’un droit litigieux, de se libérer de sa dette en payant au cessionnaire le prix qu’il a lui-même payé au cédant.

La Cour de cassation a cassé les arrêts pas lesquels la cour de Paris avait jugé que cette demande de retrait litigieux était irrecevable au stade du contrôle de la sentence, au motif que « l’exercice du droit de retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence ». Si la solution adoptée par la Cour de cassation ne surprend pas2, elle se heurte au caractère limité du contrôle de la sentence tel qu’il est opéré par le juge français. Surtout, la portée exacte de cette solution est incertaine.

La portée de la solution retenue par la Cour de cassation est incertaine

La Cour de cassation s’est limité à statuer sur la recevabilité de la demande de retrait litigieux au stade du contrôle de la sentence arbitrale. La question demeure donc de savoir :

Si le retrait litigieux ne peut être exercé que s’il est prévu par le droit applicable à la relation entre le cédé et le cédant3, ou si l’article 1699 est une loi de police, qui s’applique quel que soit le droit applicable à la relation entre le débiteur et le cédant.

Si le cédé ne peut exercer le retrait litigieux, au stade du contrôle de la sentence, que dans les cas où la cession du droit litigieux n’a été effectuée – ou le cédé n’a été informé de cette cession – qu’après la reddition de la sentence.

Il reviendra à la cour de renvoi de préciser ces points. Il reste que l’incertitude actuelle, et une admission trop large du retrait litigieux au stade du contrôle de la sentence, pourraient ne pas être sans effet sur l’attractivité de la place de Paris en matière d’arbitrage.

L’incidence pratique de la solution retenue par la Cour de cassation

La cession de droits litigieux – avant ou après la reddition d’une sentence arbitrale – peut obéir à des objectifs parfaitement légitimes, notamment lorsqu’un créancier se trouve confronté à un débiteur récalcitrant qui a organisé son patrimoine pour échapper à l’exécution de la sentence. En pareil cas, l’exercice du retrait litigieux pourrait permettre à un débiteur indélicat de se libérer de sa dette en bénéficiant de la décote souvent importante consentie par le cédant au cessionnaire.

En effet, le retrait litigieux a normalement pour effet d’éteindre le droit litigieux qui a été cédé, et la décision d’un juge français faisant droit à une demande de retrait litigieux au stade du contrôle d’une sentence arbitrale pourrait non seulement avoir un effet sur l’exécution de cette sentence en France, mais aussi dans d’autres États, en particulier ceux qui accordent une importance aux décisions d’annulation ou de non reconnaissance rendues à l’étranger.

Voilà qui pourrait inciter certains opérateurs du commerce international à éviter Paris comme siège de l’arbitrage, afin de ne pas s’exposer au risque d’un retrait litigieux au stade du contrôle de la sentence et de préserver ainsi la possibilité de céder leurs droits en litige. 

Notes de fin

(1) Cass. 1re civ., n° 16-22112 et n° 16-22126.

(2) V. Cass. 1re civ. 9 janv. 1974, n° 72-14488.

(3) CA Paris, 11 févr. 1969, JDI 1969, p. 918.

Cour de cassation Thierry Tomasi Herbert Smith Freehills