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Résiliation unilatérale sans mise en demeure : une exception qui confirme la pertinence du principe

Par Hortense de Roux, associée, et Juliette Mirikelam, cabinet Ashurst

Aux termes d’un arrêt ayant reçu tous les honneurs de publication1, la Cour de cassation apporte une précision majeure en considérant, extra legem, qu’aucune mise en demeure préalable à la résolution unilatérale du contrat n’est nécessaire « lorsqu'il résulte des circonstances que celle-ci est vaine ». Éclairage sur une solution à manier avec prudence.

Création prétorienne codifiée aux articles 1224 et 1226 du code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, la résolution unilatérale par voie de notification permet au créancier qui fait face à une inexécution contractuelle suffisamment grave de mettre fin, à ses risques et périls, au contrat. Sauf urgence, le débiteur défaillant doit être préalablement mis en demeure de satisfaire à ses obligations dans un délai raisonnable. Ce n’est qu’a contrario, lorsque l’urgence est caractérisée, que le créancier est dispensé de cette formalité. À cette unique exception légale, la Cour de cassation vient ajouter un second cas de dispense bien distinct de l’urgence.

Désormais, aucune mise en demeure ne devrait être délivrée lorsque le comportement de l’une des parties est d’une gravité telle qu’il rend manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles, de sorte qu’une mise en demeure serait vaine. Par cette solution, la Cour de cassation a certainement souhaité poursuivre un impératif d’efficacité économique en fluidifiant la résolution d’un contrat dont les engagements n’ont que peu de chance d’être honorés. Pour autant, fallait-il aller au-delà des garde-fous posés par le texte et priver le débiteur, et par ricochet son créancier, d’une chance ultime de remédier aux difficultés d’exécution rencontrées ? Cette solution semble surtout aller à l’encontre des objectifs poursuivis par la mise en demeure.

L’objectif premier de toute mise en demeure est d’accorder au débiteur, qui rencontre des difficultés d’exécution, un ultime sursis pour y remédier. On comprend que ce sursis puisse être contraint dans un temps court, mais pour quelle raison supprimer le délai raisonnable offert par la loi au débiteur pour reprendre l’exécution de ses obligations ? À suivre le raisonnement de la Cour, c’est parce qu’il est présupposé que cet objectif n’est plus atteignable. Or, nul doute que l’appréciation de la situation dans laquelle la mise en demeure est « vaine » sera fortement casuistique. Se pose alors la question de l’articulation de cette nouvelle dispense et de la jurisprudence développée pour sanctionner le créancier ayant fait preuve d’une intransigeance excessive dans l’appréciation de la gravité du manquement de son débiteur2.

Le second objectif de la mise en demeure est d’encourager la résolution amiable du différend naissant, en incitant le débiteur à s’exécuter plutôt que de s’engager dans une procédure judiciaire souvent longue et coûteuse. Deux nouvelles procédures destinées à lancer une véritable « politique de l’amiable » 3 ont été introduites pour les contentieux portés devant les tribunaux judiciaires : l’audience de règlement amiable et la césure du procès4. La solution adoptée par la Cour de cassation le 18 octobre dernier semble ainsi quelque peu à rebours des intentions plébiscitées par les États généraux de la justice au mois de janvier dernier. Dispenser le créancier d’une mise en demeure aura certainement pour effet de retarder la question du traitement amiable du différend jusqu’à la phase judiciaire. En effet, nul doute qu’en présence de parties n’ayant pas eu l’occasion de s’expliquer à l’occasion d’une mise en demeure permettant d’ouvrir une période de discussion amiable, le juge sera enclin à les orienter vers ces nouveaux outils.

Enfin, d’autres questions se posent. De quel préjudice le débiteur qui s’estime lésé pourra-t-il obtenir réparation ? La perte de chance d’avoir pu bénéficier d’un ultime délai pour satisfaire à ses obligations sera-t-elle indemnisable ? Ces questions d’ordre pratique doivent, à notre sens, être rationalisées, compte tenu du caractère exceptionnel des situations dans lesquelles la mise en demeure sera finalement considérée comme vaine. Il sera, en effet, nécessaire de réunir à la fois une inexécution suffisamment grave5 et un comportement rendant la poursuite de la relation contractuelle manifestement impossible. Loin de constituer un principe, cette dispense devrait donc demeurer résiduelle. ν

Notes

(1) Com. 18 oct. 2023, FP-B+R, n° 20-21.579.

(2) Civ. 1re., 28 octobre 2003, n° 01-03.662.

(3) Lancement de la politique de l’amiable, 13 janvier 2023, ministère de la Justice.

(4) Décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, applicable aux instances introduites, à compter du 1er novembre 2023.

(5) Article 1124, code civil.