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Réforme de la loi de blocage : l’intervention du SISSE

Par Ozan Akyurek, avocat associé, cabinet Jones Day

L’existence de litiges transfrontaliers pose la question du transfert de preuves depuis la France vers l’étranger et, en conséquence, celle de la communication de données touchant à la souveraineté et aux intérêts stratégiques de la France

La loi de blocage de 1968 (1) interdit la communication de tous documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique (i) aux autorités étrangères lorsqu’elle est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public (article 1er) ou (ii) tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères (article 1 bis). Les personnes saisies de telles demandes de communication sont en principe tenues par une obligation déclarative (article 2). Dans l’objectif de renforcer de manière significative ce dispositif, le pouvoir réglementaire a, par un décret du 18 février 2022 et un arrêté du 7 mars 2022 (2) dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2022, décidé d’accompagner les entreprises dans leur obligation déclarative prévue par l’article 2 de la loi de blocage. Depuis, le Service de l’information stratégique et de sécurité économique (SISSE) est l’unique interlocuteur des entreprises destinataires des demandes de documents et de renseignements.

Pour rappel, ce service créé en 2016 est rattaché à la direction générale des entreprises de Bercy. La mise en oeuvre de la nouvelle procédure auprès du SISSE implique une démarche volontaire de la part des entreprises, lesquelles doivent informer le SISSE sans délai d’une demande de documents et de renseignements. Pratiquement, s’agissant de l’article 1er de la loi de blocage, il incombe aux entreprises d’identifier les données sensibles au sens de l’article précité parmi celles dont la communication est requise par l’autorité étrangère. Pour ce faire, elles peuvent s’aider d’un guide établi par le SISSE en concertation avec l’association française des entreprises privées (AFEP) et le mouvement des entreprises de France (MEDEF) (3). Si l’entreprise en identifie, elle doit saisir le SISSE qui procédera à leur analyse et émettra un avis sur l’applicabilité de la loi de blocage.

Quand bien même certaines d’entre elles ne présenteraient pas ce caractère sensible et que, par conséquent, l’entreprise ne serait pas tenue de saisir le SISSE, il est toujours possible d’obtenir son avis. De même, s’agissant de l’article 1 bis de la loi de blocage, le rôle du SISSE demeure entier. En effet, si l’interdiction de demander directement des documents ou renseignements oblige la partie demanderesse à emprunter les canaux de l’entraide judiciaire internationale, le SISSE doit s’assurer que lesdits documents ou renseignements transmis par ces canaux ne soient pas sensibles. En tout état de cause, l’information du SISSE intervenue suffisamment en amont permet à l’entreprise concernée de bénéficier d’un accompagnement et d’un éclaircissement sur la présence ou non de documents ou renseignements sensibles parmi ceux dont la communication est requise.

Conscient des contraintes imposées aux entreprises concernées par la loi de blocage, le SISSE fait preuve de pragmatisme et de réactivité, tant dans ses échanges - téléphoniques ou écrits - avec les entreprises et leurs conseils, que dans la transmission et l’analyse des documents. Par ailleurs, la nouvelle procédure entend renforcer la portée extraterritoriale de la loi de blocage en permettant aux entreprises de disposer d’un avis rendu par le SISSE dans un délai d’un mois à compter du dépôt de leur demande qu’elles pourront opposer pour justifier leur refus de communication. En définitive, le décret et l’arrêté de février et mars 2022 ont doté la loi de blocage d’un nouveau cadre procédural venant ainsi renforcer l’arsenal de protection économique