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Quelles actions entreprendre pour anticiper la proposition de directive ATAD3 qui vise les sociétés holding dites « écrans » ?

Par Eglantine Lioret, associée, cabinet Desfilis

Les sociétés holdings présentent souvent les caractéristiques suivantes : pas ou peu de personnel, « en sandwich » entre une ou plusieurs filiales et ses actionnaires, l’essentiel des revenus sont dits « passifs » tels les dividendes, intérêts ou redevances. Leur objet est souvent patrimonial (transmission intergénérationnelle), financier (levée de fonds, cantonnement des garanties consenties aux prêteurs), fonctionnel (concentration des managers-actionnaires ou des actionnaires minoritaires, pacte d’actionnaires) ou organisationnel (bénéfice d’une convention d’investissement avec un pays tiers plus protectrice).

Il est aussi parfois fiscal, tel la recherche du bénéfice d’un taux réduit de retenue à la source sur un flux transfrontalier, une moindre imposition des revenus de propriété intellectuelle, ou une meilleure déduction des charges financières. Cependant, il existe déjà un arsenal de dispositifs anti-abus : les conventions fiscales bilatérales, les directives telles celle portant sur le régime des sociétés mère et filiales, le droit domestique avec l’abus de droit fiscal qui ne requiert plus désormais la poursuite d’un but exclusivement fiscal mais simplement « principal »… S’y ajoutent les mesures anti-blanchiment qui imposent notamment la déclaration des « bénéficiaires effectifs », définis comme les actionnaires ultimes de la chaine de détention ; la déclaration des montages transfrontaliers issue de la directive DAC6 et tant d’autres qui occupent les services de conformité de nos entreprises. Après avoir été critiquées quant à leur résidence fiscale et leur manque de substance, les holdings se sont entourées de prestataires de services spécialisés qui, outre la constitution du véhicule, le secrétariat juridique, la gestion du compte bancaire et la tenue de la comptabilité peuvent même fournir des directeurs salariés qualifiés, une quotepart de bureaux et des lignes téléphoniques… certains de ces éléments paraissent d’ailleurs assez désuets dans un monde post-covid qui télétravaille en flex-office. ATAD3 concernera, à compter du 1er janvier 2024, les holdings employant moins de 5 salariés et dont la couche supérieure du « sandwich » (i.e. les associés ou l’entité mère ultime) est établie ailleurs que dans l’État de résidence de la holding.

En outre, la holding devra remplir les trois conditions suivantes :

■ plus de 75 % de ses revenus sont passifs (y compris les revenus de crédit-bail et plus-values sur titres) ou plus de 75 % de la valeur comptable de ses actifs est composée de titres ou de biens mobiliers et immobiliers situés à l’étranger ;

■ plus de 60 % de ses revenus passifs provient de l’étranger ou plus de 60 % de la valeur comptable de ses actifs (mobiliers et immobiliers) est située à l’étranger ;

■ la « gestion des opérations courantes et la prise de décision sur des fonctions importantes » ont été externalisées.

Compte tenu des caractéristiques rappelées ci-dessus, la holding établie au Luxembourg qui détient de l’immobilier en France, directement ou par l’intermédiaire d’une filiale française, pour le compte d’actionnaires qui ne résident pas au Luxembourg sera une « entreprise à risque » soumise à une nouvelle obligation déclarative. Le défaut ou l’insuffisance de déclaration devrait être sanctionné par une amende d’au moins 5 % du chiffre d’affaires de « l’entreprise à risques ». L’assiette de cette amende devrait être composée des revenus passifs, qu’ils soient au non comptabilisés en CA. D’autre part, les autorités fiscales des États concernés pourront nier le bénéfice de la directive ou de la convention fiscale bilatérale à la holding UE qualifiée « d’entreprise à risques » puis de « société-écran » pouvant ainsi conduire à de multiples impositions.

Dans cette nouvelle déclaration, « l’entreprise à risque » devra justifier :

■ de la jouissance exclusive de locaux ;

■ d’un compte bancaire actif dans l’UE ;

■ qu’un dirigeant au moins de l’entreprise (1) est résident fiscal de l’État dans lequel la holding réside (ou suffisamment proche), (2) est qualifié et autorisé à prendre les décisions relatives aux activités générant les revenus ou aux actifs de la holding, (3) utilise régulièrement et effectivement sa capacité décisionnaire et (4) n’est pas dirigeant ou employé dans une entreprise liées.

Alternativement, les conditions (1) et (2) peuvent s’apprécier au niveau des employés. L’entreprise à risque pourra solliciter une exonération de dépôt de cette nouvelle déclaration si elle démontre que sa situation ne procure ni au groupe, ni aux associés ultimes un avantage fiscal quantifiable (indifféremment de l’objet principal de la holding). À l’exception des sociétés cotées et des véhicules réglementés (tels OPCI, SPICAV/FPI, OPCVM, SICAV/FCP, SCPI, SCR, et plus généralement FIA…) qui sont exclus du champ d’application de cette directive, et des situations totalement françaises ou hors UE, il est urgent de revoir les chaines de détention, d’appliquer les tests issus de cette proposition de directive et de prendre les mesures correctives et d’anticipation adéquates. Il peut s’agir de mieux répondre aux critères posés en renforçant les moyens de fonctionnement de la holding ou encore de la faire disparaitre par voie de fusion ou de dissolution amiable. Les incidences éventuelles dépassent largement la fiscalité. L’entrée en vigueur de cette proposition de directive est prévue le 30 juin prochain pour une application au 1er janvier 2021. Les critères quantitatifs et qualitatifs devraient être appréciés pour la première fois au titre des exercices 2022 et 2023.