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Que vaut la renonciation à la révision pour imprévision ?

Par Par Corinne Vallery-Masson, associée, cabinet Veil Jourde

Notre droit a consacré, depuis le droit romain, le principe selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Depuis une jurisprudence ancienne, un changement de circonstances bouleversant l’équilibre contractuel pourtant voulu par les parties n’était pas susceptible de remettre en cause l’exécution du contrat : le débiteur devait si nécessaire se ruiner, mais exécuter son obligation !

Pourtant, peu à peu, la place de la révision pour imprévision a fait son chemin, d’abord en droit international public, puis au sein de plusieurs législations étrangères (Italie, Allemagne ou Suisse). Cette influence a finalement gagné la France, d’abord en droit public, puis par l’introduction dans le code civil de l’article 1195 issu de l’ordonnance du 1er octobre 2016, qui a ouvert la voie de la révision pour imprévision dans des termes qui n’ont pas manqué aussitôt de susciter la discussion. Une première interrogation a rapidement surgi : ce texte était-il, ou non, d’ordre public et la faculté d’y renoncer était-elle offerte aux parties au contrat ?

Le rapport au président de la République précisait : « Comme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un caractère supplétif », ce que pourtant la rédaction du texte ne dit pas. Les clauses d’adaptation voulues par les parties (clauses de hardship, de révision, d’indexation, etc.) étaient après tout suffisantes pour encadrer des situations imprévues sans nécessité d’avoir à contraindre les parties d’avoir à recourir au juge.

Mais surtout, la crainte de voir le juge devenir « la troisième partie au contrat », selon des modalités mal définies, ajoutée au manque d’intérêt de ces dispositions qui imposaient de continuer à exécuter le contrat tant que durerait la négociation, étaient loin d’emporter l’adhésion : mieux valait donc renoncer purement et simplement à cette imprévision faute de prévisibilité. Il a donc pu sembler judicieux de faire renoncer à l’article 1195, afin de mettre les parties à l’abri d’un aléa mal maîtrisé. Pour autant, cette renonciation signait-elle un retour au droit ancien et à la jurisprudence tant décriée interdisant toute possibilité de réviser les obligations ? Il semblerait pourtant que ce ne soit pas le cas, la conception du contrat ayant désormais évolué au nom d’une sorte de principe directeur inspiré de « loyauté, solidarité, fraternité », de proportionnalité des obligations, autant d’attributs de la bonne foi, désormais consacrée comme étant « le principe correcteur qui domine de haut tout le droit des contrats ». Cette évolution s’inscrit d’ailleurs au-delà de nos frontières dans le droit européen. Introduire la révision pour imprévision dans la loi – quand bien même les parties seraient libres d’y renoncer – n’est jamais que la consécration de cette nouvelle approche du contrat à laquelle le droit français a déjà adhéré : les parties ne sont plus des cocontractants, mais des « partenaires » et l’exécution du contrat devient le bien commun.

Cette évolution se retrouve aujourd’hui dans la jurisprudence et plusieurs décisions récentes montrent que la bonne foi – ou la mauvaise foi – peut être prise en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier si le bénéfice d’une clause est justifié1.

Il a ainsi été jugé que les parties devaient vérifier, au nom de la bonne foi, si l’équilibre contractuel n’est pas bouleversé par l’apparition de circonstances exceptionnelles2 et l’adapter au changement de circonstances, le juge étant, dans ce cas, requis de déterminer si le refus de renégocier ne constitue pas un manquement à cette exigence de bonne foi susceptible d’être sanctionnée sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Mettre en demeure son cocontractant d’avoir à renégocier, au besoin avec la sanction de la résiliation du contrat en cas de refus ou d’échec, pourrait ainsi, en toute bonne foi, venir au secours de l’équilibre contractuel, quand bien même les parties auraient renoncé d’un trait de plume trop hâtif à l’article 1195 du code civil.