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Protection des lanceurs d’alerte et de l’entreprise : un équilibre délicat

Par William Feugère, avocat, cabinet Feugère Moizan Avocats, et fondateur d’ethicorp

La loi Sapin 2, du 9 décembre 2016, avait veillé en matière d’alertes à respecter un équilibre délicat, assurant que la révélation ne soit pas synonyme de publicité et que le signalement ne soit pas une fragilité mais une force pour l’entreprise.

Le législateur avait en effet prévu une obligation de confidentialité sanctionnée par un délit (article 9), condamnant de deux ans de prison et 30 000 € d’amende toute divulgation de l’identité du lanceur d’alerte, de celle de la personne visée, présumée innocente, mais aussi des faits objets de l’alerte eux-mêmes. Était en outre instituée une gradation du signalement, le lanceur d’alerte devant respecter trois étapes (sauf danger grave et imminent), la première étant le signalement à l’entreprise elle-même. Ce n’est qu’à défaut de réponse « dans un délai raisonnable » qu’il peut s’adresser aux autorités, puis en cas d’inaction de ces dernières, sous trois mois cette fois, rendre son signalement public (presse, réseaux sociaux, etc.).

Ces deux dispositions sont intimement liées. Ensemble, elles ont permis de transformer l’alerte en un outil d’intelligence économique. L’enjeu n’est pas de dénoncer ou de fragiliser mais de protéger : l’entreprise gagne toujours à savoir ce qui se passe en son sein et, informée en premier lieu, elle peut corriger spontanément tout manquement. Ce faisant, elle se protège, ainsi que ses équipes, partenaires et investisseurs. À défaut de réaction, en revanche, l’entreprise s’expose à dégrader son image, fragiliser ses équipes et même subir des sanctions. L’enquête interne s’intègre dans ce schéma vertueux, et il n’est pas anodin que l’Agence française anticorruption lui ait consacré plusieurs paragraphes dans ses dernières recommandations, dans la partie consacrée aux alertes.

Malheureusement la directive européenne du 23 octobre 2019 relative à la protection des lanceurs d’alerte, dont la proposition de loi de transposition vient d’être dévoilée, fragilise ce délicat équilibre.

Sans doute, des manques sont comblés. Par exemple seront désormais protégés les facilitateurs, accompagnant le lanceur d’alerte dans sa démarche, et les entreprises tierces : les dispositifs sont ouverts aux collaborateurs externes ou occasionnels, qui peuvent être les salariés d’un sous-traitant qui ne doit pas être lui-même sanctionné.

Mais l’Union européenne a également supprimé la première étape de la graduation des alertes. Les autorités compétentes peuvent être directement saisies. Le lanceur d’alerte peut même directement aller à l’étape de la diffusion publique si celui-ci estime que « la saisine d’une autorité ne peut permettre de remédier efficacement à l’objet de la divulgation ». La proposition de loi se cale assez fidèlement sur les dispositions de la directive, sauf sur une – pourtant parmi les plus intéressantes – qui exige (article 9) que le traitement des alertes soit confié à une personne ou à un service « impartial », la transposition utilisant le terme « indépendant » qui n’a pourtant pas tout à fait la même signification.

Les digues prévues par la loi Sapin 2 s’effritent. Que faire pour ne pas devoir subir des procédures qu’on aurait pu éviter par un traitement effectif interne, voire s’exposer aux foudres partiales et violentes des réseaux sociaux ? Il faut s’assurer que la première étape actuelle soit respectée en pratique, même si elle n’est plus obligatoire. Il est impératif que chaque salarié – et chaque partenaire ou partie prenante – sache qu’un dispositif existe et, surtout, ait confiance dans son fonctionnement. Les entreprises doivent être plus que jamais engagées en matière éthique et le faire savoir, le démontrer. Il ne s’agit pas seulement de déployer un dispositif d’alertes, il faut garantir qu’il soit indépendant, qu’il gère les conflits d’intérêts (quid de l’alerte visant un référent éthique du groupe ? Va-t-il en être destinataire automatiquement et ainsi être en mesure de dissimuler les preuves ?) et qu’il assure la plus grande confidentialité, dans l’intérêt de tous.

Il faut structurer le parcours d’une alerte avec des procédures internes claires et largement diffusées aux salariés, de même que structurer l’enquête interne et former le personnel concerné alors que le cadre légal et jurisprudentiel en la matière est de plus en plus précis et strict.

L’alerte est une force si elle est convenablement reçue, analysée, hiérarchisée, traitée et qu’elle sert de fondement à une décision éclairée. Tout cela s’organise en amont, pour ne pas avoir à improviser le moment venu.

La directive et sa transposition invitent à faire plus et mieux, pour anticiper et protéger, et faire de l’éthique un atout réputationnel, social et économique.

William Feugère Feugère Moizan Avocats William Feugère