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Prix de transfert dans les ETI et les grands groupes : quand la norme dépasse les bornes !

Par Pascal Luquet, associé, cabinet Grant Thornton Société d’Avocats

Tout le monde connaît l’issue du combat de David contre Goliath ! Tout le monde ? Sauf peut-être l’administration fiscale dont l’imagination sans limite a réussi à réécrire l’histoire. À la fin, pas de victoire de David (l’ETI), plutôt un match nul, voire une victoire aux points pour Goliath (l’administration) en ce qui concerne les obligations pesant sur les ETI ! La charge administrative pesant sur les entreprises de taille intermédiaire s’élève en effet a minima à 75 Mds€. Les obligations de justification et de documentation des prix de transfert1 figurent sans aucun doute parmi les coûts les plus importants pour les ETI.

L’administration fiscale s’intéresse de plus en plus aux prix de transfert des ETI, après avoir scruté ceux des grands groupes internationaux. D’ailleurs, les avis de vérification fleurissent actuellement en vue d’augmenter les recettes fiscales. Les prix de transfert constituent l’un des sujets clefs au regard des enjeux financiers et des obligations documentaires et déclaratives prévues par les lois fiscales françaises.

La loi étant la même pour tous, l’article 57 du code général des impôts s’applique donc tout autant aux ETI qu’aux entreprises du CAC 40. L’exigence pour certaines ETI de communiquer la documentation des prix de transfert dès le premier jour du contrôle fiscal pose un problème. Cette obligation est assortie de lourdes pénalités spécifiques et ce, indépendamment de la validité ou non des prix de transfert.

Les grands groupes, qui disposent des ressources humaines et financières pour répondre aux demandes des inspecteurs des impôts, sont habituées à gérer cette problématique et à communiquer une documentation détaillée. Ce n’est pas le cas dans les ETI. La pratique démontre hélas que les exigences des inspecteurs envers elles sont comparables.

Or la majorité de ces entreprises moyennes à la capacité humaine plus réduite, doivent composer avec des exigences documentaires toujours plus lourdes en France et à l’international. Elles n’ont souvent ni spécialiste des prix de transfert, ni directeur fiscal pour faire face à une créativité administrative sans limite. Leurs difficultés à répondre, dans les délais impartis, aux nombreuses demandes des vérificateurs sont immenses. La tendance actuelle au sein de l’administration fiscale est de solliciter les ETI, pour des demandes chronophages, plus ou moins utiles au débat de fond.

À cela s’ajoutent des demandes de communication des documents en langue française uniquement alors que l’anglais est souvent utilisé par les ETI dans les documentations. Dans un pays au déficit commercial chronique comme le nôtre, est-il normal que nos ETI, qui sont exportatrices, soient pénalisées par leur présence à l’international ?

Les ETI sont, de fait, défavorisées car elles ne peuvent se défendre aussi efficacement que les grands groupes. Or, les principes directeurs de l’OCDE2, base de travail commune des administrations fiscales et des entreprises, ont formulé des recommandations claires. Ils rappellent qu’« il est recommandé de ne pas imposer aux moyennes entreprises de produire le volume de documentation que l’on pourrait attendre d’entreprises de plus grande taille ». De même, ils insistent sur la nécessité d’une application raisonnable de l’obligation de documenter la comparabilité. Enfin, ces mêmes principes admettent que : « […] le coût des informations peut être très problématique, surtout pour les entreprises de taille moyenne… ». Cette recommandation d’approche raisonnable n’est pas toujours appliquée, loin s’en faut.

L’engagement du METI pour permettre aux ETI d’obtenir la juste reconnaissance de leur contribution à notre économie a abouti au lancement, par le gouvernement, de la « stratégie Nation ETI » en 2020. À l’heure où Bercy veut abaisser le seuil de la documentation prix de transfert obligatoire de 400 millions à 150 millions3, il est utile de rappeler que la demande formulée à l’automne dernier par les co-présidents du METI « d’alléger la pression fiscale et réglementaire sur les ETI françaises », se justifierait pleinement pour les exigences de documentation et de justification des prix de transfert dont le coût est souvent sous-estimé. La norme (fiscale) en la matière ne devrait pas dépasser les bornes !