Connexion

NFT : Quels recours contre la contrefaçon 3.0 ?

Par Par Cédric Dubucq et Tristan Girard-Gaymard, avocats associés, cabinet Bruzzo Dubucq, et Arnaud Cluzel, associé, cabinet d’évaluation de préjudices économiques Æque Principaliter.

La contrefaçon rapporte toujours aussi gros à l’heure du web 3.0. La plateforme d’achat-vente de NFT OpenSea, valorisée plus de 12 Mds€ depuis janvier 2022, propose ainsi à l’achat plusieurs millions de NFT frauduleusement labélisés Picasso. Heureusement, la législation française, particulièrement volontariste en matière de contrefaçon, permet de nombreux recours. 

Les non-fungible tokens (NFT), des jetons numériques uniques inscrits dans la blockchain Ethereum, peuvent être utilisés comme support à la création artistique ; qu’il s’agisse d’y fixer une création originale où d’y fixer l’adaptation d’une oeuvre préexistante. Ainsi que l’illustre la récente action intentée par Picasso Administration – société de gestion des droits de l’auteur éponyme – contre les créateurs de NFT inspirés de l’oeuvre de l’artiste surréaliste, ces possibilités avivent déjà les tensions. Encore faut-il que la création d’un producteur de NFT constitue une oeuvre de l’esprit (au sens de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle) pour qu’il puisse agir en contrefaçon. De même, toute personne désireuse de critiquer la création fixée dans un NFT doit prouver sa qualité d’auteur ou de cessionnaire de ses droits patrimoniaux.

La contrefaçon est qualifiée aux termes des articles L. 335-2 et L. 335-3 du CPI. S’agissant pour un créateur de s’inspirer d’une oeuvre préexistante – fixée ou non dans un NFT– la discussion se situe sur le terrain de la prise en compte, par le juge, des ressemblances et des différences entre l’oeuvre primaire et la création litigieuse. C’est l’examen de ces deux catégories de caractères qui permet de s’assurer de l’existence ou de l’absence d’une contrefaçon. Comme le souligne un auteur, « la contrefaçon ne peut exister que si les éléments repris sont originaux et si les différences sont impuissantes à faire disparaître les ressemblances existantes entre ces éléments et ceux qui les imitent » (C. Bernault et A. Lebois, J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, LexisNexis, 2021, « Fasc. 1267 : Droit des auteurs – Contrefaçon et étendue du droit d’auteur », n° 29).

Ceci étant précisé, quelles formes peuvent prendre les actes de contrefaçon ? Le plus souvent, la contrefaçon est le fait d’une reproduction totale ou partielle de l’oeuvre protégée (art. L. 122-4 du CPI). La reproduction est d’autant plus massive que nombre de NFT relèvent d’une collection. S’ajoute, en l’espèce, la communication non autorisée de l’oeuvre, dans le sens d’une représentation prévue à l’article L. 122-2 du CPI. La création et la cession de NFT est, en effet, réalisée dans le but d’une communication au public du jeton numérique, par exemple au sein d’une galerie d’art numérique ou encore sur les réseaux sociaux.

Quelles sont, enfin, les perspectives indemnitaires de la contrefaçon ? L’article L. 331-1-3 du CPI fixe les directives de détermination du préjudice réparable. En premier lieu, il est possible d’obtenir le remboursement de l’ensemble des dépenses défensives engagées dans la lutte contre la contrefaçon. Ensuite, il est envisageable d’obtenir une indemnisation au titre du préjudice moral, notamment de l’avilissement du droit contrefait. En troisième lieu, il est possible d’obtenir l’indemnisation du gain manqué (ou de la perte de chance) sur droit de commercialisation. Étant donné que les NFT sont une technologie disruptive, ce chef de préjudice sera, à notre sens, l’un des plus importants. Enfin, on peut obtenir en indemnisation les bénéfices indus réalisés par le contrefacteur grâce à la commercialisation de NFT basés sur des droits de propriété intellectuelle contrefaits. Il revient au juge d’examiner distinctement ces demandes et de statuer sur un montant indemnitaire, étant précisé que la loi a été rédigée dans une approche punitive de la contrefaçon. À titre alternatif, le CPI reçoit un chiffrage simplifié, consistant en le calcul des redevances qui auraient été appliquées au contrefacteur s’il avait une licence.

En somme, les titulaires de droits se doivent d’être attentifs à l’émergence d’un marché de l’art et des propriétés intellectuelles numériques au sein duquel la création de NFT pourrait constituer un acte de contrefaçon. 

Blockchain