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Marques versus IA, de la prolifération des risques aux outils de régulation

Par Par Victor Cabras, juriste d’entreprise, membre des Jeunes Juristes de l’AFJE

L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) a bouleversé les modes de création des signes distinctifs. En quelques secondes, tout utilisateur peut générer logos ou noms de marque. Si cette démocratisation stimule l’innovation, elle complexifie profondément l’application du droit des marques. L’IA, en produisant instantanément des signes, interroge les fondements mêmes d’un système juridique reposant sur les principes de distinctivité, d’antériorité et de confusion. À mesure que se multiplient les créations générées, le risque d’atteintes involontaires à des droits antérieurs s’amplifie, rendant plus difficiles la surveillance et l’attribution des responsabilités.

Source de nouveaux défis

Le droit des marques protège les signes distinctifs en garantissant leur fonction d’origine1. Pour être protégée, une marque doit être distinctive, licite et disponible. La contrefaçon est constituée par la reproduction, l’usage, l’apposition ou l’imitation d’une marque pour des produits ou services identiques ou similaires, et est caractérisée par un risque de confusion2 dans l’esprit du public3. Elle engage la responsabilité de son auteur4, même en l’absence d’intention de nuire.

Les algorithmes, entraînés via d’immenses corpus de données incluant des marques existantes, peuvent produire des résultats très proches de signes protégés. L’utilisateur agissant de bonne foi peut ainsi devenir un contrefacteur involontaire. Cette situation est susceptible d’entraîner une augmentation exponentielle du nombre de signes litigieux, rendant la surveillance du marché par les titulaires de droits extrêmement ardue.

Identifier le responsable est un enjeu central. L’utilisateur final qui exploite un signe contrefaisant engage sa responsabilité. S’il dépose le signe, il manquerait à son devoir de diligence. Mais la responsabilité des fournisseurs de services d’IA est plus débattue. Leur statut oscille entre hébergeur technique, à responsabilité limitée, et éditeur de contenu. Si un utilisateur final, agissant comme déposant, se voit confronter à une procédure d’opposition (et autres procédures) pour une marque figurative ou verbale générée par IA, la possibilité d’engager la responsabilité de la plateforme d’IA pour le résultat litigieux devient une perspective juridique non négligeable. Il est impératif que les fournisseurs de ces technologies intègrent, dans leurs mentions légales, des avertissements clairs sur les risques de propriété intellectuelle inhérents à leurs générations et soulignent la diligence requise de l’utilisateur quant à la vérification des antériorités, par exemple pour toute utilisation.

L’IA au service de la protection
et de la régulation

L’IA offre des opportunités de régulation en amont. Les offices de propriété intellectuelle (INPI, EUIPO) pourraient intégrer des outils d’analyse par IA dans leurs portails de dépôt. Ces systèmes effectueraient une recherche de similarité en temps réel basé sur la base de données des signes déposés antérieurement, alertant le déposant sur les risques de confusion potentiels. Cette approche proactive permettrait de fiabiliser et accélérer l’examen des demandes, réduire le nombre de litiges (oppositions, actions en nullité), et optimiser les ressources des offices.

L’adoption de l’IA doit être tempérée. Les biais algorithmiques peuvent conduire à des erreurs d’analyse, nécessitant toutefois une supervision humaine impérative pour toute décision finale. Enfin, une harmonisation réglementaire au niveau européen et international, portée par des organisations comme l’OMPI et l’EUIPO, est indispensable pour définir des standards communs et assurer une protection efficace et équilibrée.

En outre, l’IA représente un changement de paradigme pour le droit des marques. Elle est à la fois un facteur de risque, en démultipliant les possibilités de contrefaçon, et un levier de modernisation, en offrant des outils de régulation d’une puissance inédite. L’enjeu pour les juristes et organismes est de trouver un équilibre, adapter les cadres juridiques, notamment en matière de responsabilité des intermédiaires, tout en encourageant l’adoption de technologies éthiques et fiables. Le futur de la protection des marques ne se fera pas contre l’IA, mais avec une IA intelligemment régulée et mise au service du droit des marques.