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Loi Pacte : Intérêt social, enjeux sociaux et environnementaux, raison d’être

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°1400 du 10 juin 2019
Par Jean-Philippe Robé, associé, cabinet Gibson Dunn

Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés (article 1833 C. civ.). Ces dispositions, qui s’appliquent à toutes les formes de sociétés de personnes ou de capitaux, ont été complétées par la loi « Pacte » promulguée le 23 mai 2019. Chaque société française doit désormais être gérée « dans son intérêt social » et « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Ces changements, qui affectent des centaines de milliers de personnes morales, sont une conséquence directe des recommandations du rapport Notat-Senard (« l’entreprise, objet d’intérêt collectif»).

La loi Pacte consacre ainsi la notion d’« intérêt social » qui a été dégagée en jurisprudence. Pour autant, elle ne définit pas cette notion car, selon l’exposé des motifs, « son application pratique repose sur sa grande souplesse, qui la rend rétive à tout enfermement dans des critères préétablis ».

Dans l’esprit des promoteurs de la loi Pacte, la consécration du concept d’« intérêt social » implique la reconnaissance au niveau législatif d’un objectif fondamental de la gestion des sociétés, à savoir le fait qu’elles ne « sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt autonome et dans la poursuite des fins qui lui sont propres. »

L’introduction de la prise en considération des questions sociales et environnementales dans la gestion des sociétés est l’innovation la plus marquante. Mesurer les impacts sociaux et environnementaux dans la prise de décision a pour but d’obliger les dirigeants de sociétés à s’interroger sur ces problèmes et à les « examiner attentivement ». Cette prise en considération doit bien entendu être adaptée à chaque entreprise, notamment en fonction de sa taille et de son activité.

L’absence de prise en considération des questions sociales et environnementales n’est pas sanctionnée par la nullité (article 1844-10 C. civ.). Il n’y a pas non plus de régime de responsabilité spécifique. Toute action en justice visant à obtenir des dommages-intérêts pour non-prise en considération de ces questions continue de nécessiter le respect des conditions classiques de la responsabilité civile (existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux). La simple constatation d’un préjudice social ou environnemental ne sera donc pas suffisante pour engager la responsabilité d’une société ou de son dirigeant s’il n’est pas établi que le préjudice résulte d’un manque de considération de ces enjeux.

Ignorer ces questions pourrait toutefois constituer un motif de révocation du dirigeant.

La loi Pacte offre également aux sociétés la possibilité d’introduire dans leurs statuts une raison d’être. Les statuts « peuvent spécifier une raison d’être, constituée des principes dont la société est dotée et pour laquelle elle entend allouer des moyens dans l’exercice de son activité » (article 1835 C. civ.).

Selon les promoteurs de la loi Pacte, la raison d’être « vise à rapprocher les entrepreneurs et les entreprises de leur environnement à long terme ». La formulation d’une raison d’être doit être utilisée de manière stratégique, fournissant un cadre de référence pour les décisions les plus importantes.

Plusieurs grandes multinationales françaises avaient déjà adopté une raison d’être (comme Michelin - « Une meilleure façon d’avancer ») et, depuis les discussions parlementaires autour de la loi Pacte, de nombreuses autres (comme Veolia, Atos ou Alstom) ont publiquement déclaré leur intention de le faire.

De nombreuses formulations ont été envisagées dans l’écriture de ces nouveaux principes. Elles éclairent l’intention du législateur sur ces très importantes évolutions législatives et peuvent utilement guider la mise en œuvre pratique de ces nouvelles règles. 

Gibson Dunn Jean-Philippe Robé Loi PACTE LJA1400 Rapport Notat-Senard