Connexion

Loi de blocage : autorités et entreprises tirent un premier bilan de la réforme de 2022

Par Margot Seve, european counsel, white collar defense and investigations, cabinet Skadden

Le 27 novembre 2023, le cabinet Skadden a organisé une table ronde à Paris, consacrée aux premières leçons tirées de la réforme de la loi de blocage (LdB), opérée au premier trimestre 2022. Rétrospective de ses temps forts1.

Joffrey Célestin-Urbain, chef du Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), a dans un premier temps brossé le tableau de l’impact de la LdB réformée sur les entreprises et les autorités étrangères. La volumétrie des saisines du SISSE a été multipliée par 5 par rapport à l’époque antérieure, avec dans 95 % des cas, une conformité à la LdB, tant par les entreprises françaises que les autorités étrangères, sans pourtant compromettre la coopération des premières avec les secondes. Il souligne cependant qu’en cas de non-respect de la LdB, le SISSE effectue sans hésitation un signalement au parquet. Lors de la séance de Q&A, le SISSE a précisé sa doctrine en matière d’application territoriale de la LdB et de données souveraines.

Représentant le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice, Étienne Perrin a ensuite présenté le dispositif répressif de la LdB. Il a rappelé les éléments constitutifs d’une infraction à la LdB, la compétence territoriale des juridictions, les règles de prescription et les différents scénarios possibles de saisines du parquet. Il a précisé qu’un procureur peut se saisir d’un dossier en manquement à la LdB dans le cadre d’une demande d’entraide pénale internationale. Les parquets spécialisés, comme le PNF, peuvent également se saisir en cas de connexité avec une infraction plus complexe. La DACG a enfin rappelé que la condamnation pour violation de la LdB emporte inscription au casier judiciaire, pouvant entraîner l’interdiction d’accéder à certains marchés publics.

Offrant le point de vue de l’entreprise, Cécile Di Meglio, responsable contentieux et enquêtes de la Société Générale, a souligné que la réforme a permis de rappeler aux autorités étrangères la volonté des autorités françaises de veiller au respect de la LdB. Sur l’article 1bis, elle a salué la réactivité du SISSE et, sur l’article 1er, celle du choix de la réforme de laisser les entreprises apprécier in concreto le caractère sensible souverain de la donnée, le cas échéant en lien avec le SISSE. En définitive, Cécile Di Meglio a observé que l’invocation de la LdB n’est plus perçue par l’autorité étrangère comme une tentative d’obstruction, même si demeure une quasi-absence de jurisprudence en matière d’infractions à la LdB comme quelques incertitudes sur son champ d’application territoriale. Les entreprises françaises sont néanmoins encore prises entre le marteau et l’enclume en cas d’absence de conventions internationales applicables.

Puneet Kakkar, magistrat de liaison de l’Ambassade des États-Unis à Paris (US DOJ), a observé que la coopération franco-américaine fonctionnait très bien. Il a cependant noté que les autorités d’un pays peuvent parfois se heurter à d’autres lois souveraines nationales susceptibles de ralentir leurs enquêtes : exigence de probable cause aux États-Unis, ou LdB en France. La procédure de conformité à la LdB peut ralentir les procédures internationales, voire priver les entreprises du bénéfice des programmes de coopération du DOJ lorsqu’elles ne sont pas en mesure de lui communiquer des informations suffisamment fraîches. Ces difficultés peuvent cependant être aplanies par un dialogue soutenu entre les parties prenantes.

Enfin, Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF), est revenu sur le rôle du PNF dans la mise en œuvre de la LdB, qui joue un rôle « passif » lorsqu’il reçoit une demande d’entraide pénale internationale : il en vérifie alors la conformité à la LdB. Le PNF pourrait aussi jouer un rôle plus « actif » dans les dossiers de LdB, si son champ de compétence se trouvait élargi à ce type de délit. Actuellement, le PNF ne peut connaître, de manière active, des manquements à la LdB, sauf dans les cas où ils sont poursuivis en connexité avec des infractions rentrant dans son champ de compétence. Ce dernier pourrait donc à terme, si le ministère de la Justice en fait la proposition au Parlement, se voir conférer la compétence pour poursuivre, à part entière, les violations de la LdB. ν

Notes

(1) L’intégralité des débats peut être retrouvée sur le site du cabinet Skadden : https://www.skadden.com/-/media/files/publications/2024/01/french-blocking-statute/retranscription_de_la_tableronde.pdf