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L’exécution des décisions de justice post-Brexit : divorce ou simple séparation ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1352 - 28 mai 2018
Par Mélina Wolman, associée en charge du département contentieux de Pinsent Masons France et Valentine Morand, élève-avocat.

Après 45 ans d'une union parfois chaotique, l'heure du divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne a sonné. En matière de coopération judiciaire, l'exécution des décisions de part et d'autre de la Manche présente des enjeux certains.

Un mariage avantageux : le régime simplifié d'exécution des décisions judiciaires

À l'heure actuelle, le Règlement dit « Bruxelles I bis » du 12 décembre 2012 prévoit un mécanisme très simplifié d'exécution dans un État membre d'une décision rendue dans un autre. Il suffit en effet (I) d'obtenir un certificat auprès de la juridiction ayant rendu la décision attestant de son caractère exécutoire, (II) d'effectuer la signification de ce certificat et de la décision et, enfin (III) de fournir le certificat et la décision à l'autorité chargée de l'exécution. L'exécution ne peut être refusée que dans un nombre très limité de situations. En matière de créances incontestées, un titre exécutoire européen a été créé. La sortie du Royaume-Uni de l'Union pourrait, sauf accord spécifique négocié, le priver des bénéfices de ce système simplifié.

Les différentes possibilités de gestion de la rupture : La séparation à l'amiable

• Le retour à la Convention de Bruxelles ou l'intégration à la Convention de Lugano

Le Royaume-Uni pourrait imaginer un retour à la Convention de Bruxelles signée le 27 septembre 1968, qui prévoyait un système de confiance mutuelle permettant la reconnaissance et l'exécution des décisions rendues dans un État contractant dans les autres États contractants. Toutefois, un tel retour nous semble difficile en pratique car tous les États membres actuels de l'Union européenne ne sont pas signataires de la Convention de Bruxelles.

Il pourrait également intégrer la Convention de Lugano du 30 octobre 2007, qui permet aux États dans lesquels elle est en vigueur - le Danemark, la Norvège, la Suisse et l'Islande - de bénéficier des règles prévues par le Règlement Bruxelles I, ce qui reviendrait à une situation assez comparable à celle actuellement en vigueur. Cela supposerait cependant (I) la (ré)adhésion à l'Association Européenne de Libre-Echange ("AELE") ou (II) l'adhésion à la seule Convention de Lugano supposant l'accord unanime des parties parmi lesquelles l'Union européenne.

• L'exception danoise?

Le Royaume-Uni pourrait enfin considérer un modèle sur-mesure comme a pu en bénéficier le Danemark. En effet, s'il fait partie de l'Union européenne, ce dernier n'est pas lié par le Règlement Bruxelles I et a conclu un accord avec la Communauté européenne. Néanmoins, il est important de noter que le Danemark ne bénéficie de ce statut particulier que du fait de son statut de membre de l'Union.

• Le divorce par hard Brexit

Si aucun accord n'est trouvé, les décisions britanniques seront soumises au droit commun de chaque côté de la Manche.

En France, cela correspond à la procédure d'exequatur. Celle-ci suppose une procédure judiciaire devant le Tribunal de grande instance compétent qui devra examiner si la juridiction anglaise ayant statué était compétente pour ce faire, si la décision devant être exécutée est conforme à l’ordre public international français et exempte de fraude .

Si ces conditions sont remplies, une décision d'exequatur pourra être rendue mais elle pourra également faire l'objet d'un appel. Cette judiciarisation de l'exécution des décisions rallonge ainsi considérablement les délais auxquels font face les parties.

Ainsi, selon la propension de chacune des parties au divorce à rester dans la vie de l'autre, les décisions judiciaires en matière civile et commerciale pourraient connaître des parcours bien différents. La vie n'est pas un long fleuve tranquille…

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