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Les fenêtres de négociation transactionnelle : saisir le bon moment pour résoudre le litige

Par Par Jessica Madesclair et Lucie Mongin-Archambeaud, associées du cabinet Osborne Clarke

Dans la résolution des litiges commerciaux, la négociation transactionnelle ne doit pas rester cantonnée à un stade préliminaire de la procédure. Chaque étape ouvre une fenêtre de dialogue dont les parties et leurs conseils doivent se saisir pour résoudre leur litige.

Dans les relations commerciales, les enjeux dépassent le seul aspect juridique : confidentialité des informations sensibles, maintien du flux industriel, équilibre des chaînes de production, protection de la propriété intellectuelle, risque réputationnel et continuité des relations commerciales imposent une approche stratégique du règlement des différends.

Les parties entament généralement des discussions commerciales entre dirigeants pour régler leur différend dès que celui-ci se présente. Cependant, lorsque ces discussions s’essoufflent, la demanderesse n’a d’autre solution que de mettre en œuvre la clause de résolution des litiges prévue au contrat.

Beaucoup de clauses compromissoires ou attributives de juridiction imposent alors – à peine d’irrecevabilité - le recours à la médiation comme préalable à l’arbitrage ou au procès.

Or, à cette étape du litige, si les négociations préliminaires n’ont pas abouti, les parties ne sont généralement pas prêtes à discuter de nouveau : les positions ne sont pas encore stabilisées, et chacune souhaite faire valoir la solidité de ses arguments devant le juge du contrat.

En revanche, une fois les premières écritures échangées, lorsque chaque partie a pu réaliser la « mise en état intellectuelle de son dossier », mesurer la solidité du dossier adverse et analyser les forces, faiblesses et risques de sa propre position, alors s’ouvre une nouvelle fenêtre stratégique de négociation transactionnelle. Ces négociations sont, cette fois, encadrées par la structure juridique du différend, ce qui permet aux parties d’avoir l’ensemble des tenants et aboutissants de leur litige pour s’asseoir à la table des discussions en toute connaissance de cause. De plus, ces discussions peuvent intervenir confidentiellement, par le biais des conseils, pour éviter qu’elles soient interprétées comme un aveu de responsabilité en cas d’échec.

Les statistiques le confirment. Selon le rapport 2024 de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, sur 841 affaires enregistrées, 391 ont été retirées avant la sentence finale : 57 % de ces retraits interviennent entre le dépôt de la requête d’arbitrage et la constitution du tribunal arbitral, tandis que 40 % ont lieu après la constitution du tribunal.

Ces chiffres montrent que la majorité des litiges se transige après l’échange des premières écritures, mais qu’une part significative se règle aussi plus tardivement. Les parties et leurs conseils doivent donc rester attentifs aux fenêtres de négociation tout au long de la procédure.

Ainsi, lorsque le tribunal arbitral invite les parties à s’accorder sur les faits constants et les questions en litige pour préparer l’acte de mission – exercice également requis par la chambre internationale de la cour d’appel de Paris – cette étape constitue une fenêtre idéale pour initier une négociation, probablement plus efficace que la proposition de conciliation ou médiation précédant le dépôt des premières écritures.

D’autres moments clés ouvrent des fenêtres de négociation : après la production de documents lorsque des pièces déterminantes émergent, après l’échange des écritures en réplique et duplique si de nouveaux éléments redistribuent les cartes, ou autour de l’audience qui peut réserver des surprises. Toute étape susceptible de faire évoluer ou basculer le litige doit être saisie comme une opportunité de négociation transactionnelle.

Cette exigence de recherche du compromis est d’autant plus nécessaire dans les secteurs où les marchés sont concentrés, les acteurs interdépendants et les informations échangées éminemment confidentielles, comme dans les secteurs de la défense, de l’aéronautique ou de l’aérospatial. Le rôle des conseils est alors déterminant. Il leur incombe de maintenir un dialogue entre les parties et concevoir des solutions hybrides, juridiques et opérationnelles, adaptées aux contraintes du secteur.

Même si les parties ne parviennent à s’accorder que sur une partie de leur litige et que le reste devra être tranché par le juge ou l’arbitre, ces négociations font progresser significativement la résolution du conflit. De la même manière, les conseils peuvent permettre la négociation d’enjeux plus larges que le simple différend.

La négociation transactionnelle constitue bien plus qu’un moyen complémentaire de la justice : elle en est le prolongement stratégique. Aux conseils et à leurs clients de transformer chaque étape procédurale en opportunité de dialogue car le contentieux judiciaire ou arbitral doit rester un levier de résolution et non une impasse.