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Le renforcement du contrôle des investissements étrangers : un moyen d’imposer un marché boursier tech européen ?

Par Barbara Jouffa, associée, cabinet Gowling WLG.

L’application du contrôle des investissements étrangers à un nombre croissant de sociétés tech, lors de leurs opérations auprès d’investisseurs étrangers, pourrait ralentir leur attractivité dans le but inavoué d’imposer un marché boursier tech européen.

Bruno Le Maire se félicitait récemment d’avoir « fait de la France le pays le plus attractif pour les investisseurs étrangers en Europe », notamment grâce à sa French Tech dont les levées et investisseurs étrangers ont significativement augmenté ces dernières années.

Cette course à l’attractivité, priorité du président Macron, s’accompagne paradoxalement d’un renforcement du protectionnisme économique et politique, particulièrement ciblé sur la tech.

La majorité des secteurs et opérations tech soumis au contrôle des investissements étrangers

La liste des secteurs sensibles soumis au contrôle de Bercy, initialement limitée à des activités stratégiques ou liée à la sécurité nationale, s’étend désormais à la majorité des secteurs tech : hébergement de données sensibles, R&D portant sur des technologies critiques (cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, fabrication additive, semi-conducteurs), stockage d’énergie, technologies quantiques et biotechnologies. Il est donc légitime de se demander si d’autres secteurs aujourd’hui épargnés, tel que l’EdTech, ne rejoindront pas prochainement cette liste.

Les sociétés ayant un doute sur le caractère sensible de leur activité peuvent saisir Bercy d’une demande d’avis préalable. En pratique, le délai d’instruction de deux mois et l’obligation, le cas échéant, de déposer une demande d’autorisation formelle rendent cette procédure peu utilisée.

Le contrôle sera applicable dès lors que l’opération entraîne (1) un franchissement du seuil de 25 % de participation par un investisseur non ressortissant de l’UE ou (2) un changement de contrôle au profit d’un investisseur étranger, et vise en conséquence tant les levées de fonds (plutôt late stage ou growth equity) que les exits, indépendamment de la valorisation de la cible.

Le non-respect de cette règlementation expose à de lourdes sanctions (injonctions du Minefi et sanctions pécuniaires).

L’impact sur le calendrier

L’application du contrôle des investissements étrangers à l’opération envisagée se traduira par l’intégration d’une condition suspensive dès la LOI, en raison de son impact sur le calendrier des opérations.

L’autorisation préalable de Bercy devra être obtenue avant la réalisation définitive de l’opération, impliquant une période intermédiaire entre le signing et le closing durant laquelle le Minefi sera saisi et disposera d’un délai de 75 jours ouvrés (i.e. examen initial de 30 jours ouvrés puis, le cas échéant, examen complémentaire de 45 jours ouvrés) pour décider d’un refus ou d’une autorisation avec ou sans conditions, à charge pour l’investisseur de les considérer raisonnables ou non. Le silence du Minefi vaudra refus de l’autorisation.

Le renforcement de la règlementation, un moyen de créer un marché boursier tech européen ?

Le Minefi n’hésite désormais plus à indiquer publiquement son opposition à certaines opérations (i.e., Carrefour/Couche-Tard ou Photonis/Teledyne), contraignant les vendeurs à se rapprocher d’acquéreurs nationaux ou ressortissants de l’UE et potentiellement à accepter une valorisation plus basse.

Le renforcement du contrôle freine donc les opérations auprès d’investisseurs étrangers et ce pourrait bien être le moyen pour le gouvernement d’imposer un marché boursier tech européen afin de concurrencer le NASDAQ. Cela concrétiserait les efforts mis en place par le gouvernement pour doper l’écosystème tech, notamment à la suite des préconisations du rapport Tibi : annonce de 3 Mds€ d’investissements dans des fonds français spécialisés dans l’investissement coté tech et création de l’indice Tech Croissance Euronext dédié aux PME tech cotées à Paris. Cette année sera d’ailleurs décisive et fera valeur d’exemple avec certaines pépites tech (OVH, Believe) qui ambitionnent leur cotation sur Euronext. 

Barbara Jouffa Gowling WLG