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Le rejet d’une saisine pour défaut de priorité par l’Autorité de la concurrence

Par Pauline de Lanzac, associée concurrence / régulation et distribution, cabinet Latournerie Wolfrom Avocats

Par une décision du 20 octobre 2022 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des timbres postaux (1), l’Autorité de la concurrence a refusé pour la première fois d’instruire une affaire au motif qu’elle ne constituait pas une priorité.

Dans cette affaire, l’Union des commerçants des loisirs et de la presse, organisation professionnelle représentant les marchands de presse, avait saisi l’Autorité d’une plainte pour abus de position dominante à l’encontre du groupe La Poste, au motif que La Poste accordait aux exploitants des bureaux de tabac des conditions tarifaires préférentielles par rapport à celles appliquées aux autres distributeurs de timbres, tels que les marchands de presse, sans justification objective.

Depuis la transposition en droit français de la directive européenne du 11 décembre 2018, dite Directive ECN+, l’article L. 462-8 du code de commerce prévoit que l’Autorité de la concurrence peut rejeter une saisine par décision motivée lorsqu’elle considère que les faits invoqués ne constituent pas une priorité. En l’espèce, l’Autorité de la concurrence relève que la saisine concerne une pratique dont l’impact économique est limité. En effet, elle n’affecte pas le consommateur final, le prix de revente du timbre étant fixe, et n’a pas d’impact sur la qualité du produit proposé ou sur l’innovation, le timbre étant un produit uniforme. En outre, l’impact de la pratique dénoncée sur le chiffre d’affaires des marchands de presse est très faible, de l’ordre de 300 à 400 euros par an au plus, par opérateur. L’Autorité souligne par ailleurs que la saisine ne soulève pas de questions nouvelles d’ordre économique ou juridique qui nécessiteraient d’être clarifiées pour faire avancer la pratique de l’Autorité et que le saisissant peut introduire toute action de nature à faire valoir ses droits devant les juridictions nationales.

Enfin l’Autorité explique que le traitement de la saisine requerrait la mobilisation de ressources internes non négligeables, dont elle considère qu’elles seraient affectées plus utilement à d’autres dossiers. Compte tenu de ces éléments, la saisine est rejetée. Dans le communiqué de presse accompagnant la décision 2 (2), l’Autorité a tenu à préciser quatre facteurs dont elle pourra tenir compte pour évaluer l’intérêt d’une affaire, avant de la rejeter pour défaut de priorité, sans que cette liste soit limitative : la gravité potentielle des pratiques dénoncées ; l’envergure de l’affaire du point de vue du volume d’affaires affecté et des enjeux économiques en cause ; la nécessité de clarifier une question d’ordre juridique ou économique pour éclairer les parties prenantes ; le caractère stratégique de l’intervention de l’Autorité dans une affaire donnée, apprécié à la lumière des éléments suivants : le fait que l’Autorité soit mieux placée que d’autres juridictions pour traiter le problème identifié ; le caractère suffisamment sérieux de la saisine et la capacité à rassembler efficacement les pièces nécessaires à l’établissement des faits ; l’impossibilité pour l’Autorité d’apprécier l’existence d’effets de la pratique dénoncée, par exemple lorsque les pratiques alléguées revêtent un caractère purement hypothétique ; l’ancienneté des faits au moment de la saisine ou la cessation des pratiques en cause ; l’existence d’une procédure portant sur les mêmes pratiques ou des pratiques similaires qui serait déjà en cours d’examen ou qui aurait déjà fait l’objet d’une décision de l’Autorité.

Si l’introduction de cette nouvelle prérogative au bénéfice de l’Autorité se justifie par l’objectif de concentrer l’action de l’Autorité sur les saisines qu’elle estime prioritaires au regard de l’intérêt de l’affaire, compte tenu de la nécessité d’utiliser ses ressources de manière optimale, elle n’est pas sans inquiéter les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, qui hésitent déjà souvent à saisir l’Autorité, par crainte des représailles dont elles pourraient souffrir de la part d’un concurrent ou d’un partenaire plus puissant.