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le droit douanier sort de l’angle mort

Par Par Marie Fernet, docteure en droit, avocate et fondatrice du cabinet éponyme.

Longtemps cantonné à une approche technique et administrative, le droit douanier s’est imposé en 2025, en raison de l’irascibilité des états-Unis, comme un instrument central des politiques économiques et commerciales. Droits de douane, sanctions, mécanismes environnementaux aux frontières ou réforme du code des douanes de l’Union dessinent une matière élargie, désormais au cœur des contraintes opérationnelles des entreprises.

Fin de marginalité

Pendant des années, le droit douanier a occupé une position périphérique : peu enseigné à l’université, rarement pratiqué par les avocats, souvent absent des organigrammes des entreprises.

Cette marginalisation ne correspondait déjà pas à son importance réelle. L’année 2025 change la donne.

Les droits de douane sont des instruments de politique économique. Leur mobilisation explicite et revendiquée, ces derniers mois, comme leviers géopolitiques, les met en lumière, comme l’expliquait ici Arnaud Fendler 1.

L’année oblige à réfléchir au-delà des seuls flux physiques de marchandises. Les négociations commerciales combinent barrières tarifaires et non tarifaires, exigences réglementaires, normes environnementales. C’est ainsi que le président Trump revendique, en contrepartie d’un retour sur les droits sectoriels de 50 % sur l’acier et l’aluminium, l’assouplissement des règles applicables aux services numériques.

L’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières2, le règlement EUDR3, l’extension des sanctions contre la Russie, l’anticipation des risques en matière d’exportation de biens à double usage sont le quotidien des entreprises et donc des praticiens de la matière.

Si l’on peut entendre les craintes liées à l’affaiblissement du Green deal et aux paquets Omnibus, telles que les exprime Stéphane Foucard dans un article récent du Monde4, il n’en demeure pas moins que la mise en conformité et la sécurisation face aux risques juridiques sont des enjeux de taille, en particulier pour les TPE, PME et ETI.

Les TPE, PME et ETI constituent l’écrasante majorité des opérateurs à l’import-export, sans disposer, pour la plupart, de services juridiques ou douaniers structurés. Cette absence de structuration expose mécaniquement à un risque douanier accru, à l’import comme à l’export.

Plateformes chinoises : taxe de 3 € sur les petits colis.

Ces opérateurs sont notamment soumis à la concurrence du commerce électronique extra-UE. Appréhender le problème sous un angle douanier est indispensable.

Le Conseil5 a ainsi annoncé soumettre les petits envois d’une valeur inférieure à 150 € à un droit de douane forfaitaire de 3 €, à compter de 2026. Transitoire, cette taxe vise à rétablir des conditions de concurrence plus équilibrées et renforcer la sécurité des produits importés.

L’issue est douanière et européenne. Dans une union douanière, la taxe de 2 € telle que conçue par le PLF actuellement en discussion, est vaine puisque limitée à un État et donc aisément contournable.

La fin de la franchise douanière, et la réforme du code des douanes de l’Union, sont fondamentales, non pour la taxation introduite, qui ne sera pas dissuasive, mais pour la remontée de data aux services de contrôles des États membres.

Réforme douanière européenne

En effet, la réforme du code des douanes de l’Union confirme le droit douanier comme outil essentiel de la politique de l’Union européenne.

La création annoncée d’une Autorité douanière européenne, le projet d’EU Customs Data Hub et la refonte du traitement du commerce électronique traduisent une volonté de pilotage accru des flux. Il ne s’agit pas seulement de déclarer correctement, mais plus encore qu’aujourd’hui, de démontrer, documenter et justifier, en amont comme en aval.

Les contrôles douaniers, perçus comme techniques et ponctuels, prendront une dimension stratégique, tant par les montants en jeu que par leurs effets connexes. Le contentieux douanier, national et européen, est appelé à se densifier, et à revêtir de plus en plus fréquemment des aspects pénaux et réputationnels.

Une matière à conquérir

Dans ce contexte, les débats sur les simplifications réglementaires portées par l’UE (« paquets Omnibus », ajustements du MACF et du RDUE) doivent être appréciés à l’aune de la réalité opérationnelle des entreprises, en particulier des PME.

Le droit douanier est encore une discipline périphérique réservée à quelques spécialistes - que le CNB me pardonne cette facilité de langage ! - et, de façon annexe et accessoire, à certains praticiens de la compliance.

Il est pourtant un droit de structuration des échanges, qui irrigue les décisions économiques, industrielles et juridiques. Pour faire face à cette réalité, les entreprises de toutes tailles n’auront d’autre choix que de structurer leurs process douaniers. Et les avocats, pour répondre à ces besoins, devront travailler en réseau. Le conseil habituel en droit de l’économie et droit commercial de l’entreprise devra trouver les compétences pour se saisir des problématiques douanières de ses clients.