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Le devoir de vigilance des entreprises en matière de gouvernance durable

Par Par Shirley Pouget, avocate, DLA Piper

Le 23 février 2022, la Commission européenne a dévoilé son projet de directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de gouvernance durable. S’il était adopté, un grand nombre d’entreprises européennes et non européennes se verraient assujetties à des obligations de diligence raisonnable en matière d’environnement et de droits de l’Homme. Les entreprises devraient par ailleurs intégrer des considérations de durabilité et de droits de l’Homme dans leur stratégie d’entreprise. Si le projet de directive s’inspire largement de la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance, la Commission européenne a pris le parti d’aller plus loin. Le texte proposé élargit considérablement le champ des entreprises concernées, ce qui pourrait avoir des conséquences non négligeables sur de nombreuses entreprises françaises, notamment de façon indirecte sur les PME dès lors qu’elles font partie de la chaîne fournisseurs.

En effet, seules les grandes entreprises françaises sont aujourd’hui concernées par l’obligation de vigilance de la loi de 2017. La projet de directive, qui pourrait entrer en vigueur dès 2024, s’appliquerait quant à elle aux entreprises qui génèrent un chiffre d’affaires annuel net de plus de 150 M€ dans l’UE ou de 40 M€ pour les entreprises de certains secteurs à haut risque - à savoir le textile et la chaussure, l’agriculture, la sylviculture, la pêche, l’extraction et le commerce minier. L’obligation de diligence raisonnable s’appliquerait à la fois aux activités des entreprises et à leurs chaînes de valeur. À l’instar de la loi sur le devoir de vigilance, le devoir de diligence sera limité aux relations commerciales directes ou indirectes établies, pour permettre aux entreprises d’exercer un effet de levier sur leurs prestataires et sous-traitants. Le texte proposé précise que les mesures de diligence raisonnable devraient être mises en oeuvre par le biais d’une obligation de moyens, les entreprises ne seraient pas tenues de garantir l’arrêt des impacts négatifs en toutes circonstances, mais devraient s’abstenir de nouer de nouvelles relations commerciales dès lors que les impacts négatifs ne pourraient être suffisamment atténués ou prévenus.

Pour se mettre en conformité avec l’obligation européenne de diligence raisonnable, les entreprises auraient l’obligation de :

▪intégrer la diligence raisonnable dans toutes leurs politiques de l’entreprise, mettre à jour la politique de diligence raisonnable annuellement et le code de conduite pour les employés et les filiales ;

▪prendre les mesures appropriées pour identifier les impacts négatifs réels ou potentiels sur les droits de l’Homme et l’environnement dans leurs activités et chaînes de valeur ;

▪prévenir et minimiser les impacts négatifs potentiels par des actions pouvant inclure par exemple l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan d’action de prévention, la conclusion d’assurances contractuelles de la part des partenaires commerciaux et la fourniture d’un soutien ciblé aux PME avec lesquelles l’entreprise entretient une relation commerciale établie ;

▪mettre fin à tout impact négatif réel par diverses actions, par exemple le paiement de compensations financières aux communautés affectées, l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan d’action correctif ou l’obtention d’assurances contractuelles garantissant que les partenaires commerciaux respectent le code de conduite et les plans d’actions correctives si nécessaire ;

▪établir des mécanismes de réclamation pour permettre aux parties prenantes de soulever leurs griefs ;

▪contrôler l’efficacité de leurs mesures et publier une déclaration annuelle. Les entreprises qui génèrent un chiffre d’affaires annuel net de plus de 150 M€ dans l’UE devraient s’assurer que la stratégie de l’entreprise est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C, conformément à l’accord de Paris. Les États membres de l’UE resteraient libres de fixer les sanctions. La loi française prévoit à ce jour deux types de recours : une action préventive en cessation de l’illicite (mise en demeure) et une action en responsabilité civile. En revanche, nouveauté par rapport à la loi française, le texte prévoit la mise en place d’autorités administratives nationales disposant d’un pouvoir de contrôle de la conformité et de sanction. Si la directive ne reste qu’un projet à ce stade et est susceptible de subir des modifications importantes tout au long du processus législatif européen, les services juridiques des entreprises françaises seraient bien avisés d’anticiper les évolutions réglementaires et de renforcer dès aujourd’hui leurs systèmes de contrôle interne pour s’assurer que les atteintes à l’environnement et aux droits humains des parties prenantes concernées soient évitées et que les nouvelles obligations soient moins onéreuses lors de l’entrée en vigueur de la directive.