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Le défi de la conformité pour les entreprises des sciences de la vie face aux ambitions réglementaires de l’UE

Par Par Natasha Tardif, associée, Lucile Chneiweiss et Alexandre Shamloo, cabinet Reed Smith

Les entreprises du secteur des sciences de la vie de l’Union européenne (UE) font face à des défis sans précédent alors que les autorités intensifient leur contrôle, dans un paysage réglementaire mouvant. La conformité aux règles sectorielles, de concurrence et de protection des données est un parcours complexe, exigeant vigilance et investissements.

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our accompagner les « progrès technologiques et scientifiques substantiels » du secteur, la Commission européenne a introduit en 2017 de nouvelles réglementations sur les dispositifs médicaux. L’année passée, elle a également proposé un ensemble de directives visant à réviser et remplacer la législation pharmaceutique existante. L’objectif poursuivi est de garantir un accès abordable, rapide et sûr aux produits, tout en soutenant l’innovation, la compétitivité et la durabilité.

Au service de cet objectif et au-delà des règles spécifiques, les autorités européennes ambitionnent de faire une application stricte d’autres outils à leur disposition pour le secteur.

Garantir l’accès au marché des dispositifs médicaux et des médicaments

Outre la mise en place d’un système centralisé délivrant une autorisation de mise sur le marché, le droit de la concurrence a joué un rôle crucial pour assurer la distribution des médicaments, en particulier des génériques et des biosimilaires. Favoriser leur entrée sur le marché reste une priorité pour l’UE, générant des économies pour les systèmes de santé.

La Commission reste attentive aux pratiques visant à évincer les concurrents du marché, par exemple par le biais de ventes liées ou de dénigrement. Elle s’intéresse également aux pratiques abusives relatives à la tarification, comme les prix excessifs faisant l’objet d’une surveillance accrue.

Dans leurs rapports entre eux, les fabricants de médicaments, princeps comme génériques, doivent continuer de rester vigilants concernant leurs accords, notamment ceux qui, en contrepartie d’un avantage économique, résolvent à l’amiable un contentieux tout en entraînant un retard de l’entrée des génériques sur le marché.

La structure du marché est aussi surveillée de près par la Commission, qui cible notamment le secteur de la santé s’agissant des concentrations « sous les seuils » de notification aux autorités. L’année dernière, ce mécanisme s’est vu imposer de façon assez forte : la Commission a prononcé une sanction importante contre une entreprise n’ayant pas respecté ses injonctions dans le cadre de l’achat d’une start-up prometteuse de biotechnologie, opération pourtant sous les seuils1.

Enfin, la Cour de Justice de l’UE a confirmé dans sa décision Towercast qu’une concentration pouvait être considérée comme un abus de position dominante2. Elle institue ainsi un contrôle ex-post qui peut également avoir de fortes répercussions dans le secteur de la santé.

Favoriser l’innovation tout en protégeant les données sensibles

Les données sensibles sont appréciées des cyberattaquants, comme en témoigne la récente attaque des organismes de tiers payant en France. Le secteur des sciences de la vie est ainsi une cible de choix des cyberattaques, accentuant les préoccupations liées à la protection des données de santé, et plus globalement des données personnelles.

Alors que la stratégie pharmaceutique européenne vise à améliorer l’accessibilité et l’analyse des données, la sécurité de ces informations reste cruciale. Les protocoles de sécurité et de réponse rapide aux incidents de sécurité sont indispensables.

Les entreprises des sciences de la vie doivent ainsi redoubler de rigueur s’agissant de la demande systématique de consentement, la surveillance régulière des préférences, l’information explicite des patients, ou la formation de leurs employés. Le suivi des directives des autorités de protection des données est ainsi essentiel.

L’ambition du contrôle européen est donc clairement affichée et la France y participe pleinement. Les gardiens français de la concurrence (Autorité de la concurrence) et de la protection des données (CNIL) sont particulièrement actifs dans le secteur. La DGCCRF est, de son côté, garante du respect de réglementations spécifiques nationales, et notamment de l’« anti-cadeaux », ou du plafonnement des remises.

Toutes les entreprises du secteur sont ainsi concernées par cet examen minutieux qui dépasse Bruxelles, un environnement au sein duquel il est donc de plus en plus difficile de naviguer pour des entreprises dont le caractère essentiel dans la société s’est encore manifesté lors de la récente crise du Covid. T

Notes

(1) V. la communication de la Commission du 12 juillet 2023, IP/23/3773

(2) CJUE, 16 mars 2023, aff. C‑449/21

N. Tardif