LA RèGLE DU JEU… VIDéO
Depuis la sortie du jeu d’arcade Pong, en 1972, le droit a toujours rencontré des difficultés à appréhender le jeu vidéo. Aujourd’hui, la jurisprudence qualifie un jeu vidéo, composé de plusieurs éléments, comme une « œuvre complexe ». Cette notion prétorienne a des contours flous et pose des questions notamment quant à ses conséquences.
En France, le code de la propriété intellectuelle liste, de manière non exhaustive, les œuvres de l’esprit qui sont protégeables par le droit d’auteur dont les logiciels, sans citer les jeux vidéo. Un jeu vidéo est pourtant bien protégeable par le droit d’auteur s’il est original. La jurisprudence s’interroge depuis longtemps sur la nature des droits de propriété intellectuelle qui existent sur un jeu vidéo. Sur une base logicielle, un jeu vidéo est composé de plusieurs éléments dont des éléments graphiques, musicaux, ou de scénario.
Au départ, elle semblait considérer qu’il s’agissait, malgré ces éléments, d’un objet de droit assimilable à un logiciel¹ compte tenu de l’importance de cette composante². Elle a ensuite évolué en distinguant les différentes composantes d’un jeu vidéo, protégeant chacune par un droit spécifique³.
L’œuvre complexe, une création prétorienne
L’arrêt Nintendo⁴ de la CJUE a ensuite tenté de clarifier la situation. Il estime que les jeux vidéo sont un « matériel complexe comprenant non seulement un programme d’ordinateur, mais également des éléments graphiques et sonores » qui doivent faire l’objet d’une protection unique par le droit d’auteur. Ils relèvent donc de la Directive 2001/29/CE (« Directive droits d’auteur »), et non de la Directive 2009/24/CE (« Directive logiciels »). La décision de la CJUE s’appuie sur la notion de « matériel complexe », qui n’a pas de définition légale en tant que telle. La jurisprudence française semble avoir adopté l’approche européenne, préférant la notion « d’œuvre complexe ». Une décision récente conclut en effet que « la cour d’appel a exactement énoncé qu’un jeu vidéo n’est pas un programme informatique à part entière mais une œuvre complexe en ce qu’il comprend des composantes logicielles ainsi que de nombreux autres éléments tels des graphismes, de la musique, des éléments sonores, un scénario et des personnages »⁵. Les juridictions considèrent que cette notion se justifie par les éléments regroupés au sein d’un même ensemble sans pourtant donner de définition précise ni expliquer comment cette œuvre complexe fonctionne. Plusieurs questions restent en suspens, notamment quant à l’appréciation de l’originalité ou de la contrefaçon d’une telle œuvre. On notera que cette notion n’est pas utilisée pour d’autres œuvres réunissant pourtant plusieurs éléments et pouvant aussi être qualifiées d’œuvres complexes.
Une application difficile et des conséquences pratiques
Les juridictions du fond⁶ semblent parfois rencontrer des difficultés à faire application de cette notion d’œuvre complexe. Récemment, une décision de la cour d’appel de Paris a hésité sur la qualification à retenir pour un logiciel pris avec son interface graphique, qui aurait pu être qualifié d’œuvre complexe. Elle a distingué la demande en contrefaçon de droit d’auteur sur un logiciel et sur son interface graphique, estimant qu’il s’agit de deux objets différents⁷. Ce choix de régime peut entraîner des conséquences en matière d’épuisement des droits. Le téléchargement de l’exemplaire numérique d’une œuvre protégée n’emporte pas d’épuisement, contrairement aux logiciels. La Cour de cassation reconnait qu’une clause contractuelle interdisant de redistribuer les jeux vidéo achetés sur la plateforme Steam n’est pas illicite et juge⁸ que « la règle de l’épuisement du droit ne s’applique pas en l’espèce ». Elle permet au titulaire de droits de continuer à exercer ses droits d’auteur sur ces jeux. La solution aurait été différente si le jeu vidéo était considéré comme un simple logiciel. Il convient donc d’être vigilant dans la rédaction de ses conditions générales de vente et les actions en contrefaçon à lancer.