Connexion

La recherche de provenance, un travail d’enquête au service de la mémoire

Par Par Melina Wolman, associée, et Yohanna Thillaye, avocate, cabinet Pinsent Masons

Le 28 mars 2023, le Spoliation Advisory Panel (SAP) de Londres rendait une décision en faveur de la restitution par le Fitzwilliam Museum de Cambridge d’une oeuvre de Gustave Courbet « La ronde enfantine » aux héritiers de Robert Bing à qui elle avait été spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette recommandation est l’aboutissement (i) d’un processus de recherche de provenance minutieux (ii) d’une coopération claire et transparente, selon un process bien établi, entre les conseils des héritiers de Robert Bing et le SAP et (iii) d’une coopération entre la Commission d’Indemnisation des Victimes de la Seconde Guerre mondiale (CIVS) en France et le SAP en Grande-Bretagne.

En s’appuyant sur divers documents d’archives collectés principalement en France, en Allemagne et en Angleterre, il a été démontré que Robert Bing était propriétaire du tableau de Gustave Courbet avant d’en être dépossédé par les nazis en 1941 à Paris, alors qu’il était victime des lois antisémites mises en oeuvre par l’occupant et le régime de Vichy. L’histoire de ce magnifique sous-bois et de ses jeunes et délicats promeneurs aux couleurs pastel, remonte à 1862, année supposée de la création de l’oeuvre par Courbet. Tout juste sortie de l’atelier du peintre, « La ronde enfantine » est présentée au public dès 1863. Si les circonstances précises de l’acquisition du tableau par la famille Bing ne sont pas connues, de nombreux indices ont permis d’établir que ce dernier a été acquis par la grand-mère maternelle de Robert Bing. Surtout, des documents retrouvés dans les archives fédérales allemandes ont prouvé que « La ronde enfantine » ornait le 5 mai 1941 les murs de l’appartement parisien, situé 8/10 rue Oswaldo Cruz, dans lequel résidait Robert Bing avant de fuir pour le sud de la France à l’arrivée des Allemands en 1939. C’est alors que Robert Bing était actif dans la Résistance que son appartement a été occupé par l’ennemi et que l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) – l’un des acteurs principaux de l’administration nazie chargé du pillage des objets d’art appartenant à des collectionneurs juifs – est venu s’emparer du tableau de Courbet. Transférée dans le dépôt de l’ERR, au Jeu de Paume, l’oeuvre sera scrupuleusement répertoriée et décrite comme ayant été saisie le 5 mai 1941 dans l’appartement de Robert Bing. Devant rejoindre les collections d’Hermann Goering, l’oeuvre aurait finalement déplu et été échangée contre d’autres toiles de maîtres. Après que sa trace s’est estompée entre 1941 et 1951, l’oeuvre a refait surface en janvier 1951, moment où elle a été expertisée par André Schoeller. L’itinéraire du tableau connaît alors de nombreux rebondissements.

Mis en vente par la galerie Suisse Kurt Meissner, le tableau est acquis par le marchand londonien Arthur & Sons, le 1er mai 1951. C’est auprès de ce marchand réputé que le tableau sera finalement acheté par le révérend Éric Milner-White, prêtre anglican. Ce dernier fera don du tableau au Fitzwilliam Museum la même année, en juin 1951. À une époque où les discussions autour des diligences requises des acteurs du marché de l’art n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements, il est évident que la bonne foi du révérend et du musée n’a pas été contestée par les héritiers de Robert Bing dans le cadre de la procédure ouverte devant le SAP. Si le SAP n’a pas fait de référence au régime juridique français des spoliations dans son rapport, il est intéressant de relever que l’ensemble des critères posé par l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 pour reconnaître la nullité d’un acte de spoliation en France, se trouve en filigrane de la rédaction. Surtout, le rapport publié par le SAP dans cette affaire est une illustration parfaite et assez unique de la résolution amiable d’un litige transfrontalier.

Transparent et objectif dans le traitement des éléments de preuves qui lui ont été soumis, le SAP a su rendre une recommandation en adéquation avec les principes posés lors de la Conférence de Washington en 1998. Probablement un exemple à suivre dans différents autres pays d’Europe… Cette affaire vient s’ajouter à l’actualité foisonnante autour des questions de restitutions d’oeuvres d’art spoliées en France, où vient d’être adopté, à l’unanimité par le Sénat le 13 mai 2023, un projet de loi relatif à la restitution des biens culturels appartenant aux collections nationales et ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.