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La procédure d’enquête RH : quel mode d’emploi

Par Par Julia Mohamed, associée, cabinet Fieldfisher

Depuis plusieurs mois, les organisations publiques ou privées qui emploient au moins 50 salariés se voient annoncer qu’ils doivent, à compter du 1er septembre 2022, établir une procédure de recueil et de traitement des alertes professionnelles (loi n°2022-401 du 21 mars 2022 relative à la protection des lanceurs d’alerte).

L’un des moyens les plus courants de traiter une alerte professionnelle consiste à mener une enquête pour établir la réalité des faits allégués. Le législateur laisse l’employeur libre d’organiser son enquête, aucune disposition du code du travail ne livrant le mode d’emploi de la procédure d’enquête en dehors de l’hypothèse d’un signalement par un membre du comité social et économique (articles L.2312-59 et L.2312- 60 du code du travail). Cette grande liberté peut laisser place à une multitude de questionnements au sein des services RH. La jurisprudence de ces dernières années apporte un certain nombre de réponses. L’analyse des arrêts rendus en la matière permet de constater que la Cour de cassation est peu exigeante s’agissant des critères de validité de l’enquête. Toutefois, il reste fort recommandé de respecter certaines bonnes pratiques qui favoriseront la force probante de l’enquête en cas de contentieux

La validité de l’enquête RH même lacunaire

L’essentiel des arrêts a été rendu alors qu’un salarié licencié pour des faits de harcèlement moral, ou sexuel, remettait en cause le rapport d’enquête sur la base duquel l’employeur avait prononcé la rupture de son contrat de travail. Dans ces circonstances, la Cour de cassation retient fréquemment la validité de l’enquête malgré ses lacunes, dès lors que l’employeur n’a pas eu recours à des moyens illicites (filature, stratagème, etc.). Ainsi, la Cour de cassation précise qu’il n’est pas obligatoire d’informer ou d’auditionner le salarié mis en cause (Cass. soc. 17 mars 2021 n°18-25.597 Jurisdata n°2021-003631). L’employeur n’est pas tenu d’entendre l’ensemble des collaborateurs potentiellement victimes (Cass. soc. 8 janvier 2020 n°18-20.151) ou d’associer les représentants du personnel à l’enquête (Cass. soc. 1er juin 2022 n°20-22.058). Dans un arrêt récent en date du 29 juin 2022, la Cour de cassation a précisé que l’employeur pouvait même compléter un rapport d’enquête lacunaire par des témoignages complémentaires (Cass. soc. 29 juin 2022 n°21-11.437). Cela étant, même si l’enquête est considérée comme valable sur le plan formel, elle peut être jugée insuffisante pour emporter la conviction d’un tribunal et revêtir une force probante.

Les bonnes pratiques favorisant la force probante de l’enquête RH

Au titre de ces bonnes pratiques, il est conseillé d’encadrer la procédure d’enquête par une charte, un accord d’entreprise, ou une note de service. Ce texte doit, depuis le 1er septembre 2022, être soumis à la consultation du comité social et économique tel que le prévoit la récente loi sur la protection des lanceurs d’alerte. Lorsque survient une alerte, il est également important de vérifier si les faits sont suffisamment probables et établis pour justifier la mise en place d’une enquête. Une commission d’enquête neutre sera désignée après concertation avec la médecine du travail et les représentants du personnel. Il conviendra de garantir la confidentialité des échanges, de convoquer les personnes auditionnées dans un délai raisonnable, d’agir avec discrétion et délicatesse en évitant une mise en cause précipitée et humiliante, de faire signer un compte rendu détaillé des entretiens aux participants. Par souci de transparence, il sera également recommandé de restituer les conclusions de l’enquête aux personnes intéressées. Le décret du 3 octobre 2022 sur les lanceurs d’alerte précise que l’auteur de l’alerte est informé, au maximum trois mois à compter du signalement, sur les mesures prises. L’employeur prendra également en compte les recommandations des différentes autorités : notamment le référentiel du 18 juillet 2019 de la CNIL relatif au traitement de données à caractère personnel, et la décision-cadre du 31 août 2022 du Défenseur des droits si les faits sont relatifs à une discrimination. Ainsi, même si la loi est peu contraignante concernant le mode opératoire de l’enquête RH, l’employeur aura tout intérêt à la mettre en place avec rigueur et méthode afin de sécuriser au mieux les mesures qui en découleront.