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La CJUE précise la portée du droit de rétracatation dans le cadre de contrats conclus à distance et offrant une période d’essai gratuite

Par Pierre-Emmanuel Frogé, counsel, cabinet BCLP

Dans son arrêt C-565/22 du 5 octobre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce sur la portée du droit de rétractation des consommateurs, dans le cadre des contrats conclus à distance, qui offrent aux consommateurs une période d’essai gratuite des services, avant de devenir payants.

Dans les faits, une société exploitant des plateformes d’apprentissage sur Internet conclut des contrats à distance avec des consommateurs sur la base de ses CGV. Lors de la première souscription par l’utilisateur, la société l’informe, d’une part, qu’il peut tester l’abonnement gratuitement pendant 30 jours et, d’autre part, qu’il peut le résilier à tout moment durant cette période. S’il ne le fait pas, l’abonnement est automatiquement reconduit pour une durée déterminée et devient payant.

C’est dans ce contexte qu’une association autrichienne de défense des consommateurs (Verein für Konsumenteninformation) a saisi le tribunal de commerce de Vienne, en avançant que le consommateur a un droit de rétractation au titre de sa souscription gratuite à l’abonnement d’essai, mais également en vertu de la transformation de cet abonnement en abonnement payant.

Dans sa réponse à la question préjudicielle posée par la Cour suprême d’Autriche (Oberster Gerichtshof), la CJUE adopte une analyse très cartésienne des dispositions de l’article 9, intitulé « droit de rétractation », de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, qui disposent que le délai de rétractation expire après une période de 14 jours à compter du jour de la conclusion du contrat à distance.

À défaut pour le professionnel de fournir l’ensemble
des informations essentielles lors de la conclusion
du contrat, le consommateur pourrait disposer
d’un deuxième délai de rétractation

Au-delà de rappeler à la lettre les dispositions de la directive prévoyant ce droit de rétractation, la CJUE veille à rappeler l’objectif initial de protection du consommateur : le droit de rétractation est censé compenser le désavantage résultant, pour le consommateur, d’un contrat à distance, en lui accordant un délai de réflexion pendant lequel il a la possibilité d’essayer le bien ou le service acquis, mais aussi de décider s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en tenant compte de toutes les conditions contractuelles du contrat concerné.

Forte de ce rappel, la CJUE subordonne l’efficacité du droit de rétractation à la fourniture au consommateur de l’intégralité des caractéristiques essentielles du contrat dès sa conclusion, y incluant celles qui seront amenées à évoluer au cours de son exécution : rapporté à notre cas d’espèce, la CJUE relève que le consommateur a bien été informé, dès la conclusion du contrat, du prix de l’abonnement une fois la période de gratuité écoulée.

Elle considère qu’il n’est pas donc pas opportun de faire courir un nouveau délai de rétractation au terme de la période de gratuité, le consommateur ayant pu essayer les services et également se convaincre de l’intérêt de ce contrat dès sa conclusion et faire jouer, ou non, son droit de rétractation.

La période d’essai ne remplace pas le délai
légal de rétractation

La Cour met aussi un point d’honneur à rappeler qu’offrir une facilité d’essai gratuit au consommateur ne délivre pas le professionnel de son obligation d’information contractuelle et qu’il ne lui est pas permis de retarder la communication des caractéristiques essentielles du contrat.

A contrario, la Cour considère que si l’information relative au prix de l’abonnement n’avait pas été communiquée clairement à la date de la conclusion du contrat, un nouveau droit de rétractation devrait être reconnu après la période d’essai gratuite (si tant est que le droit applicable ne considère pas que l’absence de communication du prix constitue une cause de nullité du contrat ab initio, comme cela est notamment le cas en droit français en application des dispositions de l’article L. 242-2 du code de la consommation).

La mise en œuvre d’une période d’essai gratuite et résiliable à tout moment par le consommateur ne permet pas non plus au professionnel de s’abstenir de respecter les dispositions applicables au droit de rétractation, même si les effets sont similaires (voire étendus pour des périodes d’essai souvent supérieures à 14 jours). Et la sanction est rude pour le professionnel qui méconnaîtrait cette obligation : si le professionnel omet d’informer le consommateur de son droit de se rétracter, la directive prévoit, dans son article 10, que le délai de rétractation est augmenté d’une période de 12 mois à compter de la fin du délai de rétractation initial.