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La chimère de la compensation carbone

Par Paul Dalmasso, avocat au barreau de Paris.

L’Agence de la Transition Écologique (ADEME) définit la compensation carbone comme le mécanisme par lequel une personne achète auprès d’un tiers une quantité de crédits carbone ayant vocation à financer des projets de réduction d’émissions ou de séquestration de gaz à effet de serre (développement de forêts, énergies renouvelables), opération se substituant à la réduction de ses propres émissions.

Dans le cas le plus commun, une entreprise s’adresse à un opérateur spécialisé auprès duquel elle acquiert un nombre de crédits correspondant au volume des émissions de gaz à effet de serre qu’elle souhaite compenser.

Si la compensation carbone contribue en théorie à endiguer le dérèglement climatique, l’absence d’encadrement réglementaire du marché engendre son dévoiement par des acteurs cherchant à redorer leur blason en matière environnementale, en affichant une neutralité carbone arithmétique, reposant sur des artifices comptables et dépourvue de réalité physique.

Périmètre des émissions compensées

Le premier artifice réside dans la définition du périmètre des émissions de gaz à effet de serre qu’un acteur souhaite afficher comme compensées.

La compensation peut en effet être revendiquée à différentes échelles et concerner, à la discrétion de l’entreprise, la totalité de ses émissions, ou seulement celles concernant une de ses branches d’activités, un de ses produits ou encore un évènement organisé par cette dernière.

En pratique, ce périmètre sera défini sur la base de critères visant à maximiser l’amélioration de l’image de l’entreprise tout en minimisant son coût, favorisant ainsi les coups de pub plutôt que la recherche d’un comportement véritablement vertueux.

En outre, lorsque la compensation a vocation à s’appliquer à l’échelle de l’organisation entière, les standards et protocoles de neutralité d’entreprise existants sur le marché laissent à ces dernières une importante marge d’appréciation quant au type d’émissions à intégrer dans leurs calculs et ne tiennent pas systématiquement compte des émissions les plus significatives au sein de leur chaîne de valeur.

Méthodes de compensation

La compensation carbone peut revêtir deux formes distinctes : financer (i) les réductions de carbone d’un tiers, ou (ii) le développement de puits de carbone permettant son absorption.

(i) Le financement de réduction chez un tiers plutôt que chez soi est un jeu à somme nulle puisque tout échange de crédit carbone implique une tonne évitée d’un côté pour une tonne émise de l’autre. Partant, ce système ne permet pas de réduire dans l’absolu les émissions.

Son succès tient principalement au fait que le coût d’une tonne de CO2 compensée est généralement plus faible que la mise en place d’un véritable plan de réduction des émissions à la source, permettant ainsi aux acheteurs de s’offrir une pseudo vertu à moindre coût.

(ii) Concernant le financement de puits de carbone technologiques ou biologiques, la méthode présente également des limites.

À l’heure actuelle, il n’existe pas de technologie suffisamment efficiente pour capturer des quantités significatives de gaz à effet de serre.

Reste donc le développement de puits biologiques, consistant principalement à financer des projets de boisement et reboisement.

Toutefois, là encore, cette méthode repose sur un arrangement comptable postulant une équivalence parfaite entre une émission immédiate et certaine à la source (entraînant des conséquences physiques directes sur le climat), et une absorption future (étalée sur la durée de croissance des arbres) et incertaine (projets soumis à de nombreux aléas).

Pour l’ensemble de ces raisons, et comme le rappelle régulièrement l’Ademe, l’accent doit être mis sur l’évitement et la réduction des émissions, la compensation n’ayant vocation à s’appliquer qu’aux émissions résiduelles et incompressibles.

La compensation ne nous fera pas éviter la sobriété. 

Paul Dalmasso