Je t’aime… moi non plus - De la vertu et des malentendus de la relation avocats / DJ
Les directions juridiques (DJ) sont devenues des acteurs clés de la stratégie de l’entreprise. Elles supervisent désormais des fonctions transverses comme la compliance, les enjeux ESG et la gouvernance et pilotent des opérations structurantes notamment transfrontalières. Elles ont accéléré leur transformation digitale en investissant dans les legal tech, déploient l’IA pour certaines à un rythme soutenu, et surtout se sont développées de manière significative en termes d’équipe avec des professionnels mieux formés et beaucoup plus spécialisés.
Mieux formés ? Oui ! Notamment dans les cabinets d’avocats ! Les transferts de l’avocature à l’entreprise se sont en effet multipliés. Cette porosité entre les deux professions a-t-elle pour autant rendu plus vertueuse la collaboration entre avocat et client ? Historiquement fondée sur l’externalisation de la gestion du risque juridique, cette collaboration répond aujourd’hui à quatre besoins :
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la recherche d’une compétence spécifique à forte valeur ajoutée ;
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le besoin ponctuel de renfort (l’entreprise a les compétences techniques mais manque de bras) ;
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la nécessité de sécuriser un avis ou une prise de position par le recours à une signature (un cabinet de référence ou un avocat habitué des podiums dans sa pratique) ;
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et bien sûr la représentation en justice qui relève du monopole de la profession d’avocat.
Quatre logiques «d’achat» de prestations juridiques, susceptibles d’évolution dans les années à venir. Le contexte global change et il peut être déstabilisateur dans la relation DJ / avocat. Le recours aux cabinets devient un choix stratégique mais non automatique. Pour susciter l’engagement et consolider la relation, il est essentiel de se questionner régulièrement sur ses fondamentaux, les comprendre et se challenger sur les réponses apportées.
Les DJ qui nous ont parlé sont unanimes : la clé d’une collaboration pérenne et satisfaisante réside dans la connaissance mutuelle. Ainsi, beaucoup regrettent encore qu’au-delà des éléments de langage bien huilés, les avocats ne démontrent qu’un intérêt et une curiosité limités sur l’entreprise. Pourtant comprendre les projets, les enjeux métier de terrain, les évolutions organisationnelles et technologiques de l’entreprise, c’est bien le socle fondamental d’un accompagnement productif et équilibré sur le long terme.Pour les directeurs juridiques interrogés, investir dans des temps d’immersion chez les clients devrait être beaucoup plus systématique de la part de leurs conseils.
Leurs attentes sont claires : plus de pragmatisme, plus d’engagement, plus d’avis opérationnels. Mieux l’avocat connaitra l’entreprise, plus ses conseils auront de la valeur. C’est bien là le cœur du sujet et, peut-être, la cause des malentendus. Les directions juridiques ne veulent plus, disent-elles, acheter du temps, mais de la valeur. Celle-ci s’évalue à partir de ce qu’elle peut apporter sur les plans financier, stratégique ou institutionnel. L’idée et le raisonnement qui auront un vrai impact sur l’un des leviers de performance de l’entreprise valent cher. Et ne sont pas nécessairement corrélés au temps passé.
A contrario, la facturation de certaines tâches nécessaires mais non stratégiques, devrait pouvoir être plus claire, plus prévisible et tout simplement moins chère. Les modèles hybrides de facturation mis en place par de nombreux cabinets depuis des années répondent en partie aux attentes des clients. Pourtant ces derniers questionnent toujours la lisibilité des coûts et en appellent à des systèmes plus adaptés à leurs contraintes budgétaires. On touche parfois sur le sujet à des méprises ubuesques. Une avocate nous a confié que, lors d’un processus d’appel d’offres, malgré la mise en place d’un forfait négocié parfaitement adapté au budget attendu, l’entreprise lui avait finalement demandé le détail du nombre d’heures correspondant à ce forfait ! Le client exigerait-il tout et son contraire ? Il reste en tous cas un peu de travail à tous pour bien comprendre attentes et contraintes de chacun !
Souvent un passage obligé, les appels d’offres sont aussi un révélateur des malentendus. Ils suscitent en tous cas une belle unanimité sur la nécessaire amélioration des process comme des réponses. Par essence outils de connaissance mutuelle, ils ne permettent finalement pas, aux dires de tous, de créer des liens féconds entre le client et son conseil.Consultations gratuites, informations nécessaires à une réponse pertinente non suffisantes, absence de contact humain lors du process de sélection, d’un côté. Réponse centrée sur les honoraires, présentation d’équipes pléthoriques, défaut de vision stratégique de l’autre. Des frustrations mutuelles s’expriment.
Et pourtant… ça marche ! pourrait-on dire. Le tableau dressé ici, que certains pourront juger sévère, appelle, face aux défis et enjeux de tous, cabinets comme entreprises, à se questionner, ensemble, pour faire de la relation avocat / entreprise, demain encore plus qu’aujourd’hui, un levier stratégique vertueux, fondé sur la confiance, la transparence et la création de valeur.