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Les incitations grandissantes à la dénonciation : cercle vicieux ou cercle vertueux ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires, N°1307 du 19/06/2017, par Ombline Ancelin, associée , et Thibault Laporte Weyvada, Simmons & Simmons
« Aux grands maux, les grands remèdes ! » C’est l’adage que semble appliquer la Commission européenne en complétant son arsenal juridique de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles par un nouvel outil de lancement d’alerte, déjà connu de certains États membres. Ce dispositif, lancé le 16 mars 2017, permet aux particuliers de dénoncer à la Commission une pratique commerciale qu’ils estiment répréhensible tout en conservant, s’ils le souhaitent, leur anonymat.

Le nouvel outil complète le programme de clémence qui a permis de révéler et de sanctionner de nombreux cartels. Dans le cadre de la clémence, la détection d’un cartel repose sur la collaboration d’une entreprise repentante qui dénonce l’entente à laquelle elle a participé en contrepartie d’une exonération totale ou partielle de l’amende qu’elle encourt. Ainsi l’entreprise dénonciatrice est motivée par un intérêt essentiellement financier. À l’inverse, dans le cadre du nouveau dispositif, un simple particulier peut contribuer à la détection de toute pratique anticoncurrentielle, en conservant son anonymat, sans qu’aucune contrepartie ne lui soit offerte.

Outre la question de moralité qui a déjà fait couler beaucoup d’encre concernant le programme de clémence, certains s’interrogent sur les effets de ce nouveau dispositif. En ouvrant le système de dénonciation aux particuliers, la Commission invite les entreprises potentiellement en infraction à se méfier non seulement de leurs partenaires commerciaux, mais également de leurs propres salariés.

Un simple particulier peut contribuer à la détection de toute pratique anticoncurrentielle, en conservant son anonymat


La situation est-elle vraiment nouvelle ? Assurément, non. Faut-il rappeler qu’un des plus grands cartels sanctionnés par la Commission jusqu’à présent, le cartel du verre automobile, a fait l’objet d’une enquête après des informations transmises par un informateur anonyme l’incitant à réaliser des visites inopinées en 2005 chez plusieurs producteurs de ces produits. Evidemment, puisqu’il n’est pas rémunéré, on ne peut écarter le cas où un particulier, profitant du caractère anonyme de sa déclaration, souhaiterait détourner le dispositif uniquement dans une intention de nuire.

Dès lors, la Commission devra veiller à s’astreindre à une vérification scrupuleuse des éléments qui lui sont transmis. Elle devra absolument mettre en œuvre les moyens nécessaires pour se prémunir des dénonciations calomnieuses qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur la réputation de l’entreprise dénoncée à tort.

La Commission devrait en effet se rappeler de la calamiteuse affaire British Airways / Virgin Atlantic dans laquelle l’OFT avait vu tomber la procédure pénale initiée contre des salariés de BA impliqués dans le cartel sur le prix des billets d’avion, qui lui avait été dénoncé par Virgin pour obtenir le bénéfice de la clémence. L’OFT n’avait pas suffisamment vérifié les dires et documents produits par Virgin si bien que plus de 70 000 documents nouveaux avait émergé dans le cadre de la procédure de discovery.