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Huawei définitivement écartée de la 5G en France ?

Par Arash Attar-Rezvani, associé, et Patrick Dupuis, avocat, cabinet Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom.

« Confronté à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non pas par la force, mais par la persévérance ». Huawei pourrait faire sienne cette méditation de Confucius à l’heure où les obstacles se multiplient pour l’équipementier et que sa place dans le déploiement de la 5G en France (où les premières connexions arrivent enfin) et à l’étranger reste incertaine.

La loi « anti-Huawei » à l’épreuve de la Constitution

Dénommée communément « loi anti-Huawei », la loi n° 2019-810 du 1er août 20191 a instauré un nouveau régime d’autorisation préalable des équipements 5G installés par les opérateurs télécoms, afin de protéger les intérêts de la défense et de la sécurité nationale. Bien que ce texte ne vise aucun équipementier de manière spécifique, il faisait peu doute que des trois principaux équipementiers susceptibles de fournir les réseaux 5G – Ericsson, Nokia et Huawei – ce dernier était plus particulièrement concerné par le nouveau dispositif.

Bouygues Télécom et SFR avaient fait le choix de Huawei pour équiper environ la moitié de leurs réseaux. L’installation de la 5G se faisant, dans un premier temps, à partir de la base 4G existante, les deux opérateurs se sont empressés de déposer des demandes d’autorisation de leurs équipements Huawei. Selon la presse, ils ont soit essuyé des refus, soit reçu des autorisations d’une durée insuffisante pour amortir leurs investissements en équipements Huawei.

Les deux opérateurs ont donc demandé l’annulation du décret et de l’arrêté d’application et ont saisi le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il était notamment fait grief à la loi de méconnaitre le principe d’égalité devant les charges publiques, en raison des charges disproportionnées que l’État ferait peser sur les deux opérateurs, sans indemnisation ; et de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, en raison de la limitation du choix des équipementiers et de la disproportion des charges pesant sur les deux opérateurs.

Par décision du 5 février 20212, le Conseil constitutionnel a rejeté l’ensemble de ces griefs, estimant que la loi avait été rédigée de manière objective, précise et proportionnée, tout en écartant la perspective d’une indemnisation des opérateurs par l’État. Il sera intéressant d’observer quel impact cette décision aura sur le rythme de déploiement de la 5G par Bouygues Télécom et SFR et/ou les incitera à monétiser davantage leurs infrastructures actives et passives pour faire face aux investissements nécessaires.

Une situation internationale disparate

Dans le sillage des États-Unis, qui semblent décidés à maintenir leur position vis-à-vis de Huawei sous l’administration Biden, certains pays (Suède, Australie, Japon notamment) ont explicitement banni l’équipementier chinois de leurs réseaux 5G. À la différence de la France et de la plupart des pays concernés, les États-Unis ont indiqué vouloir indemniser les opérateurs (1,9 Md$ pour subventionner le retrait d’équipements Huawei et ZTE des zones rurales américaines). Le gouvernement britannique prévoit, quant à lui, la création d’un fonds dédié à la R&D et au développement de la filière des équipementiers, plutôt qu’une indemnisation.

D’autres pays, à l’image de la France, ont choisi la voie d’une exclusion de fait, parmi lesquels figurent la Finlande ou encore l’Allemagne, qui étudie l’adoption d’un texte de loi similaire au nouveau régime français. Plus rares sont ceux, comme la Thaïlande, l’Afrique du Sud ou encore Monaco, qui ont autorisé Huawei à équiper leurs réseaux 5G.

En réponse à ce contexte international défavorable, Huawei a déployé un intense effort de lobbying, en France comme à l’étranger. Ces initiatives, telle que l’implantation annoncée en Alsace d’une usine de 40 000 m² avec un potentiel de création de 500 emplois directs (la première du groupe hors de Chine) feront-elles fléchir les pouvoirs publics des pays concernés ?

À défaut, le groupe de Shenzhen poursuivra vraisemblablement son offensive, notamment en tirant parti financièrement de son portefeuille de brevets, le premier au monde en matière de 5G, et en accélérant son indépendance et sa diversification technologiques. 

Notes : 

1. Loi n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles.

2. Cons. Const., décision n° 2020-882 QPC du 5 février 2021, citant notamment A. Attar-Rezvani, P. Dupuis, « La France se dote d’une loi ‘anti-Huawei’ », La Semaine Juridique – Entreprise et Affaires n° 1-2, 9 janvier 2020, page 31.

Skadden Arps Patrick Dupuis Arash Attar-Rezvani Huawei c. ZTE Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom