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Helms-Burton : une contre-attaque possible pour les entreprises européennes

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1416 du 14 octobre 2019
Par Guillaume de Rancourt, counsel et Aren Goldsmith, Senior Attorney, cabinet Cleary Gottlieb

Toute entreprise entretenant des liens d’affaires avec Cuba risque désormais des poursuites judiciaires aux états-Unis. Un Règlement européen peut aider les sociétés européennes à contre-attaquer.

Depuis le 2 mai 2019, les entreprises entretenant des relations d’affaires avec Cuba risquent des poursuites judiciaires aux états-Unis sur le fondement du Titre III de la loi sur la liberté et la solidarité démocratique cubaine de 1996 (la « loi Helms-Burton »). Cette loi vise en particulier toute société qui « trafique » avec des biens dont les propriétaires américains ont été expropriés par le gouvernement cubain, ou dont les propriétaires cubains sont depuis devenus citoyens américains. Le Titre III permet aux victimes de l’expropriation de réclamer jusqu’au triple de la valeur marchande actuelle des biens en question (équivalent à des punitive damages), ainsi que le remboursement des frais d’avocats.

La France compte parmi les dix premiers partenaires commerciaux de Cuba, et l’enjeu pour les entreprises françaises impliquées est donc potentiellement considérable, surtout étant donné le flou qui entoure la notion de « trafficking », dont la définition est à dessein extrêmement large.

Dès sa promulgation en 1996, les partenaires économiques des états-Unis, au premier rang desquels l’Union Européenne (« UE »), s’élevèrent contre le caractère extraterritorial de la loi Helms-Burton. L’UE entama ainsi une procédure contre les états-Unis devant l’Organisation Mondiale du Commerce (« OMC »). Les états-Unis et l’UE conclurent ensuite un compromis prévoyant le retrait par l’UE de sa plainte devant l’OMC en échange de la suspension par les états-Unis du Titre III, suspension prolongée par tous les présidents américains depuis Bill Clinton, jusqu’au revirement récent de l’administration Trump.

La fin de la suspension du Titre III rend toute son utilité au règlement de blocage de l’UE (Règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996, JOUE L309/1), lui aussi adopté en 1996, qui vise explicitement à contrecarrer « les effets illicites des sanctions extraterritoriales » américaines sur les acteurs communautaires. Le Règlement de blocage déclare qu’aucune décision fondée sur le Titre III ne sera reconnue ou rendue exécutoire en Europe. De surcroît, son article 6(1) permet aux opérateurs communautaires qui « effectuent des opérations de commerce international et/ou des mouvements de capitaux et des activités commerciales connexes entre la Communauté et des pays tiers » de recouvrer les « indemnités, y compris les frais de justice » dues pour tout dommage qui leur a été causé du fait de l’application du Titre III. Ainsi, l’entité européenne est fondée à solliciter des dommages et intérêts incluant, entre autres, les frais d’avocats qu’elle a engagés afin d’assurer sa défense dans le litige américain, et semble donc pouvoir agir en France dès qu’elle est attaquée aux états-Unis.

Cette contre-attaque (dite « clawback claim ») peut être portée contre le demandeur américain mais aussi contre « toute autre entité qui a causé le dommage ou toute personne agissant en son nom ou en qualité d’intermédiaire ».

Par ailleurs, l’article 6(3) du Règlement donne spécifiquement compétence à toute juridiction européenne dans laquelle le demandeur américain « détient des avoirs ». En d’autres termes, si une entreprise américaine qui détient une filiale française attaque aux états-Unis une autre entreprise française sur le fondement du Titre III, le Règlement de blocage permet au défendeur français d’assigner en France non seulement ce demandeur américain (ce qui est en soi remarquable), mais encore toute personne agissant au nom du demandeur américain ou qui lui sert d’intermédiaire.

Ainsi, dès lors qu’il existe certains liens entre le demandeur américain et l’Europe, le Règlement de blocage semble pouvoir offrir aux entreprises européennes attaquées aux états-Unis une arme potentiellement très efficace.

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