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Harcèlement moral : L’avocat tiers de confiance pour mener une enquête interne

Par Béatrice Brugués-Reix, avocat à la Cour, cabinet Dentons, ancien membre du conseil de l’Ordre, vice-présidente de l’Institut des Avocats Experts de Confiance (IAEC).

Depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, le législateur a abordé la problématique du harcèlement sous l’angle de la santé au travail. Dès lors que des faits de harcèlement moral sont dénoncés, il appartient à l’employeur d’engager une enquête1.

À défaut de toute réaction, il manque à son obligation générale de prévention et peut être condamné à indemniser le salarié de son préjudice. L’arrêt rendu le 27 novembre 20192 confirme l’autonomie de l’obligation de prévention des risques professionnels par rapport à la prohibition des agissements de harcèlement moral en considérant que le salarié est en droit de demander des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité même si le harcèlement moral n’est pas établi. L’employeur saisi par un salarié d’une plainte sur ses relations de travail doit donc réagir sans tarder en faisant mener une enquête avec la possibilité de recourir à un avocat expert de confiance.

En l’espèce, la salariée s’est plaint d’être victime d’un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique. Un mois plus tard la salariée était licenciée pour insuffisance professionnelle étant précisé que la lettre de licenciement lui reprochait également d’avoir porté des accusations de harcèlement à l’encontre de sa hiérarchie. La cour d’appel de Paris a déclaré son licenciement nul au motif qu’elle ne pouvait être licenciée pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral, sauf mauvaise foi, laquelle n’était toutefois pas démontrée. La cour d’appel n’a, en revanche, pas retenu la qualification de harcèlement moral et a, en conséquence, considéré qu’il ne pouvait être reproché à l’employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là même d’avoir manqué à son obligation de sécurité. La cour de cassation, après avoir rappelé que l’obligation de prévention des risques professionnels (article L. 4121-1 du Code du travail) est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral (article L. 1152-1 du Code du travail) et ne se confond pas avec elle, casse l’arrêt en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité fondée sur un manquement à l’obligation de prévention du seul fait que le harcèlement moral n’était pas constitué. Si l’existence d’une double indemnisation fondée sur des textes distincts n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà consacré cette distinction dans un arrêt du 6 juin 20123, celle-ci existait dans des circonstances où les agissements étaient constitutifs d’un harcèlement moral. Autrement dit, l’employeur peut désormais voir sa responsabilité engagée, même en l’absence d’une qualification de harcèlement moral, du fait de ne pas avoir diligenté une enquête. Sa responsabilité au titre d’un manquement à son obligation de sécurité peut toutefois être écartée s’il justifie avoir pris, en amont, des mesures de prévention appropriées prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ainsi que celles, en aval, propres à faire cesser les faits susceptibles de constituer un harcèlement moral4. Depuis 2016, l’avocat a la possibilité d’être chargé d’une enquête au sein des entreprises5. L’avocat est en effet le mieux positionné pour mener une enquête en raison de sa connaissance de l’entreprise et parce que ce travail d’enquête sera mené avec une écoute de qualité, en toute impartialité, et avec une indépendance de jugement et d’action dans le respect de nos principes essentiels et de notre déontologie ce qui le distingue des autres professionnels qui pratiquent également ce type d’enquête. Naturellement, l’avocat qui mène l’enquête interne ne peut pas être l’avocat habituel de l’entreprise car comme le soulignait le rapporteur, il manquerait d’indépendance en tant qu’expert. C’est dans ce contexte que sous l’impulsion de Madame le Bâtonnier Dominique de la Garanderie est né l’Institut des Avocats Experts de Confiance6 (IAEC) pour répondre aux besoins des entreprises qui souhaitent qu’un diagnostic externalisé soit établi parce qu’elle ne dispose pas des ressources en interne pour gérer ces situations de harcèlement et/ou parce qu’elles souhaitent éviter toute suspicion des personnes concernées si l’enquête était conduite en interne par le directeur des ressources humaines. Les employeurs sont donc avisés qu’indépendamment des actions de prévention primaire (actions de sensibilisation et de formation du personnel), ils doivent traiter sans tarder toute plainte qui serait portée à leur connaissance avec la possibilité de se faire accompagner par un avocat en tant qu’expert tiers de confiance. Enfin, ne perdons pas de vue que si le mouvement #Meetoo a libéré la parole, la recherche de la vérité doit s’effectuer dans le respect de la présomption d’innocence. 

Notes : 

(1) Selon l’Accord National Interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, « les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard »

(2) Publié au bulletin, n° 18-10551, FP-P+B

(3) N°10-27694 ; V. également en ce sens Cass. Soc. 6 décembre 2017, n° 16-10885

(4) Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19702

(5) Par délibération du Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris sur un rapport de Jean-Pierre Grandjean

(6) L’IAEC a établi une Charte et est doté d’un Comité éthique

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