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Fusions-acquisitions : droit anglais ou droit français, quelle importance ?

Par Yann Alix, associé, cabinet Ashurst

Le choix du droit applicable est un élément clé de toute négociation d’un contrat d’acquisition ou de vente de titres d’une société non cotée ou d’actifs (SPA) présentant un élément d’extranéité. La tendance de chaque partie sera de privilégier le droit qu’elle connaît le mieux. Parfois, ce choix pourra être influencé par les caractéristiques de la transaction (par exemple, le lieu de localisation des actifs ou de la cible), qui aura d’ailleurs un impact quel que soit le droit applicable choisi, ou la langue du contrat, bien qu’aucun de ces éléments ne soit en principe déterminant. Il arrive également que les parties décident d’opter pour un droit considéré comme “standard” ou de référence, comme cela peut être le cas pour le droit anglais ou le droit français dans certaines régions du monde. Le présent article dresse un panorama des principales différences entre droits anglais et français en la matière.

Bonne foi

Le droit anglais n’impose pas aux parties de négocier de bonne foi. À ce titre, un processus de négociation régi par le droit anglais donnera souvent lieu à un heads of terms, letter of intent, memorandum of understanding ou term sheet détaillé incluant parfois une clause d’exclusivité et des break fees visant à pallier le risque d’interruption brutale des pourparlers. Dès lors, il s’agira de bien définir les clauses binding, d’éviter toute clause pénale réputée non écrite en droit anglais et de prendre en compte dès ce stade les éléments qui pourraient influencer la transaction (au titre du droit de la concurrence et des ententes notamment).

Conditions suspensives

Le droit anglais ne connaît pas le régime des conditions purement potestatives. Toute condition suspensive négociée entre les parties devra être suffisamment “certaine” pour pouvoir être mise en oeuvre, mais cet impératif n’interdit pas d’insérer des conditions (souvent dans l’intérêt de l’acheteur) qui pourraient être réputées non-écrites en droit français. Le conseil du vendeur devra donc être attentif à ne pas offrir d’opt-out indirect à la partie acquéreuse.

Responsabilité

L’adage caveat emptor (l’acheteur doit être vigilant) résume la philosophie du droit anglais de la vente. Bien que le droit des contrats français offre traditionnellement des protections plus nombreuses à l’acheteur, leur caractère limité fait que la bargaining position de l’acheteur ne sera pas forcément plus favorable en droit français. Dans le cadre d’un SPA (et de documents liés, comme un transaction services agreement) soumis au droit anglais, les régimes de force majeure ou d’imprévision ne s’appliqueront pas par défaut, comme en droit français. Ceci devra être pris en compte notamment dans le cadre de la négociation d’une clause de material adverse change. En pratique, il existe aussi des différences entre les places de Londres et Paris sur la façon dont les disclosures sont négociées (par exemple par le biais d’une disclosure letter, d’exceptions aux garanties ou d’annexes) mais aussi parfois concernant les plafonds de responsabilité relatifs aux core warranties. Les clauses boilerplate (third party rights, entire agreement etc.) dont l’impact est non négligeable sont également différentes.

Signature

La pratique de signature diffère assez largement entre les deux droits. Un SPA de droit anglais sera le plus souvent signé par counterparts avec un formalisme réduit, sauf s’il est signé en tant que deed (par exemple, parce qu’il est conclu sans contrepartie) et sans impliquer la signature de plusieurs originaux. En pratique, le développement des processus de signature électronique, depuis la pandémie de Covid-19, contribue à gommer cette différence. Une autre différence, qui n’est pas liée en tant que telle au droit applicable au contrat, tient dans le fait que si une société de droit anglais est partie au contrat, il sera impératif de vérifier l’autorisation de son conseil d’administration dans la mesure où le droit anglais ne reconnaît pas le concept de dirigeants sociaux disposant d’un pouvoir de signature général. À noter que si une société de droit français doit signer un deed de droit anglais, aucun formalisme spécifique ne sera requis, puisque les deeds n’ont pas d’équivalent en droit français. In fine, la connaissance des différences entre droits anglais et français est susceptible de faciliter les négociations lorsqu’une des parties est amenée à se référer à un droit qu’elle connaît moins bien. Elle peut aussi constituer un instrument de négociation utile, selon que la partie conseillée est l’acquéreur ou le vendeur.