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Faute grave, loyauté et bad leaver : quand l’intérêt social prime

Par Par Rémi Hanachowicz, associé, co-responsable de l’activité contentieux des affaires, médiation, arbitrage de Lamartine Conseil


La cour d’appel de Grenoble1 a rendu un arrêt significatif sur le sujet de la loyauté du dirigeant‑actionnaire et l’opposabilité des clauses de bad leaver.

Un fondateur d’un groupe industriel, actionnaire minoritaire et mandataire social, avait consenti une promesse de vente de ses titres à ses associés. En cas de révocation sans faute grave, ses titres devaient être cédés au prix de souscription ; en cas de faute grave, une décote de 20 % devait s’appliquer en sus.

À la suite de dissensions internes, le dirigeant est convoqué pour révocation. Entre la convocation et l’assemblée générale, il intente une action en justice contre la société et ses associés et menace dans son assignation de compromettre la relation avec le principal client du groupe. Sa révocation pour faute grave est actée. Les bénéficiaires de la promesse demandent alors l’application de la promesse.

Dans un premier arrêt, la cour d’appel de Chambéry avait retenu la qualification de faute grave mais réduit la décote à 1 %. La Cour de cassation a partiellement cassé cette décision, précisant qu’une assignation en justice ne pouvait constituer une faute grave et que toute réduction de la décote devait être exclusivement évaluée au regard de la situation du bénéficiaire de la promesse(2). Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Grenoble a réexaminé la question et rendu un arrêt plus qu’instructif.

La faute grave

Un mandataire social peut être révoqué ad nutum, pour justes motifs ou pour faute grave.

Les justes motifs sont retenus lorsque le comportement du dirigeant compromet l’intérêt social ou le fonctionnement de la société(3), parfois par la perte de confiance grave qu’il suscite(4), et ce même sans faute de gestion(5).

La faute grave, quant à elle, rend impossible le maintien du dirigeant dans ses fonctions. Elle sanctionne un comportement mettant en danger l’intérêt social, en cas de désorganisation de la société(6) ou de manquement à la loyauté attendue(7).

Ici, le dirigeant avait assigné sa société et menacé de nuire à sa relation avec son principal client. La Cour de cassation avait déjà jugé, dans le passé, qu’une faute grave était caractérisée dans ces conditions(8). La particularité était ici que la Haute Cour avait cassé le premier arrêt d’appel en rappelant, à raison, que le simple exercice du droit d’ester en justice ne pouvait constituer une faute grave.

La cour d’appel de renvoi s’est donc concentrée sur les agissements du dirigeant et leur impact sur la société. Après avoir relevé l’existence de divergences stratégiques, une perte de confiance généralisée et des agissements déloyaux notamment auprès d’investisseurs du groupe, elle a estimé que le dirigeant avait agi contre l’intérêt social et que son maintien en fonctions était impossible.

La question du bad leaver

La cour devait ensuite se prononcer sur la cession des titres du dirigeant révoqué et son prix, basé sur (i) le montant payé lors de leur souscription (ii) décoté de 20 %.

Le dirigeant soutenait que se fonder sur le montant versé à la souscription le privait des gains réalisés pendant la période de détention des titres. Ce moyen est écarté, cette méthode découlant d’une convention librement consentie qui ne constituait pas une sanction.

Restait ensuite la question de l’opposabilité de la décote de 20 %, qualifiée de clause pénale par la Cour. La Cour de cassation avait rappelé, appliquant une jurisprudence constante(9), qu’une modération de la sanction ne peut avoir lieu qu’en cas de disproportion manifeste avec le préjudice effectivement subi par le créancier. En d’autres termes, il fallait démontrer une disproportion entre la décote imposée et le préjudice qu’elle était censée réparer. Le dirigeant révoqué n’ayant versé aucun élément pour l’en convaincre, la cour de Grenoble confirme que la décote de 20 % n’est pas manifestement excessive et doit recevoir application.

Le dirigeant révoqué est ainsi condamné à céder ses titres au prix de cession décoté de 20 %.

Les clauses de leaver semblent s’être faites plus rares dans les pactes d’actionnaires, sous le coup de décisions récentes liées à l’actionnariat salarié. En effet, en cas de sortie favorable (good leaver), il semble exister un risque fiscal de requalification de la plus-value en traitements et salaires(10). De plus, la cour d’appel de Paris peut analyser le bad leaver comme une sanction pécuniaire prohibée par le code du travail lorsqu’elle vise un salarié(11).

À rebours, cet arrêt de la cour d’appel de Grenoble illustre que les juridictions appliquent strictement les clauses de leaver. Elles encadrent rigoureusement la situation des associés-dirigeants en cas de départ et, contrairement à une expertise fondée sur l’article 1843-4 du code civil, fixent à l‘avance la valeur de leurs titres.

Cet arrêt contribuera-t-il à relancer l’usage de ces clauses ? Il est permis de le penser. Aux praticiens de s’en saisir !