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Enquêtes internes : le secteur public est aussi concerné

Par Stéphane Bloch, associé, cabinet Ogletree Deakins

Le droit a ses modes. Il ne se passe pas un jour sans que la pratique des enquêtes internes en droit des relations sociales fasse désormais l’objet d’un article de presse, d’un commentaire doctrinal ou d’un séminaire de formation.

Pour autant, cette mode n’est pas celle d’un été fugace. Ces enquêtes, que l’on peut définir, en l’absence de toute définition légale, comme une procédure d’investigation interne mise en oeuvre, en dehors de toute contrainte judiciaire, à la suite de la révélation auprès d’un employeur de faits susceptibles de conduire à des sanctions disciplinaires, civiles ou pénales à l’encontre d’un collaborateur et qui peuvent conduire à des mesures correctives et/ou de protection vis-àvis des victimes, sont désormais profondément ancrées dans l’environnement des entreprises du secteur privé.

Ce que l’on sait moins c’est que cette pratique n’est pas inconnue du secteur public. La culture de la conformité au sens large, pour ne pas dire compliance, à laquelle se rattache la procédure d’enquête interne s’est certes diffusée d’abord dans le secteur privé ; mais la porosité grandissante avec le secteur public, les liens de plus en plus étroits avec les administrations, elles-mêmes devenues adeptes des techniques de management, ont ensuite conduit, lentement mais sûrement, la fonction publique à s’inscrire dans ce sillage. Qu’il s’agisse par exemple des garanties dont bénéficient les fonctionnaires pour avoir déclenché une alerte, ou des enquêtes internes proprement dites plus connues sous le vocable d’enquête administrative et qui en sont bien souvent la suite qui s’impose à l’administration. Comme dans le secteur privé, il n’existe pas de code de conduite normé des enquêtes internes menées au sein de l’administration. À l’instar des acteurs privés, les administrations sont néanmoins fortement incitées à édicter des référentiels qui donneront un cadre textuel à la procédure d’enquête (dans ses recommandations publiées le 12 janvier 2021, l’Agence française anticorruption précise en effet que la formalisation de la procédure d’enquête lui confère une présomption de conformité à la loi, en cas de contrôle) En pratique, la conduite d’une enquête administrative suit les étapes suivantes, qui différent peu ou même pas du tout d’une enquête interne au sein du secteur privé :

1/ L’opportunité de l’enquête administrative : déclencher une enquête administrative au sein d’un service n’est pas anodin. Ni pour les personnes directement concernées, ni pour leurs collègues. Il faut par conséquent que l’ouverture de l’enquête apparaîsse comme une mesure utile et proportionnée en réponse à la nature des faits dénoncés. L’administration ne court aucun risque si elle décide de ne pas la mettre en oeuvre. Dans un arrêt du 22 mars 2022, la cour administrative d’appel de Paris a en effet décidé qu’un refus de procéder à une enquête administrative (bien distincte de l’enquête disciplinaire) était une mesure dite « d’ordre intérieur » insusceptible de recours.

2/ L’organisation de l’enquête administrative : elle ne s’improvise pas. Définir les modalités de l’enquête (recueil des pièces et témoignages, désignation des enquêteurs, lieu des auditions, respect du contradictoire, accès au dossier, faculté de prendre des mesures conservatoires) au cas par cas est le meilleur moyen de jeter la suspicion sur l’ensemble de la procédure. La rédaction d’un guide en amont est un gage d’impartialité.

3/ La fin de l’enquête : un rapport écrit est établi et son contenu permettra à l’administration de donner les suites qui s’imposent aux faits dénoncés. La saisine du Procureur de la République s’imposera s’il apparaît que des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale sont établis, sans préjudice de sanctions disciplinaires dans le respect de la procédure éponyme. La sphère publique est donc un champ d’exercice particulièrement intéressant des enquêtes internes, dans un domaine où la soif d’exemplarité liée à l’exercice de missions de service public par des agents et des structures vivant de l’emploi de la contribution publique donne au déploiement de l’enquête une exigence toute particulière. Les avocats et cabinets de droit social, y ont, au côté des juristes internes, toute leur place.