Droit de veto ou opt-out, fair use ou exception - les droits d’auteur sont circonscrits
Un auteur ou titulaire de droits de propriété intellectuelle peut-il exercer un droit de veto sur l’utilisation de son œuvre à des fins d’entraînement de modèles d’intelligence artificielle ? Cette question a été au cœur de l’actualité juridique française de mars 2025, en amont de l’entrée en application des exigences de transparence du règlement sur l’IA (2024/1689, AI Act).
Les syndicats français d’écrivains et d’éditeurs - le Syndicat national de l’édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL) et le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC) - ont assigné un fournisseur d’intelligence artificielle bien connu(1) devant la 3e chambre du tribunal judiciaire de Paris concernant l’utilisation de livres français pour l’entraînement de son modèle. En parallèle de litiges en cours aux États-Unis, cette affaire semble liée à l’utilisation alléguée par ce fournisseur du répertoire piraté Library Genesis (LibGen).
Le juge français devra se prononcer sur l’existence ou non d’une reproduction et, le cas échéant, sur la question de savoir si celle-ci est couverte par l’exception relative à la fouille de textes et de données introduite par la directive 2019/790, qui exige inter alia un accès légal aux œuvres autrement protégées.
Alors que l’affaire précitée fait état d’une violation du droit d’auteur et de parasitisme, le régime d’ordre public du droit moral français pose encore des difficultés existentielles à l’industrie du divertissement étrangère. Les avocats spécialisés connaissent bien l’affaire Asphalt Jungle, dans laquelle la Cour de cassation a appliqué le droit français pour interdire la colorisation du film de John Huston(2). Si selon toute vraisemblance personne ne suggère à ce jour que l’exercice des droits moraux doive empêcher le développement ou l’utilisation de l’IA, la notion d’opt-out ou de réserve de droits demeure centrale dans les débats.
Il est peut-être utile dans ce contexte de rappeler que la loi Lang (1985) a instauré en France une redevance sur les appareils permettant les copies (disques durs, smartphones), rejointe par 75 juridictions dont 20 États membres de l’UE. Cette compensation rémunère les titulaires de droits pour l’usage personnel des œuvres protégées, constituant une exception au droit d’auteur.
Alors que le Royaume-Uni est susceptible, à la suite d’une période de consultation en février, de s’aligner sur le droit européen de l’IA en exigeant le respect des règles relatives au droit d’auteur, la transparence quant au contenu utilisé et le respect de l’opt-out exprimé par les titulaires sont fondamentaux. Toutefois, certains qualifient les opt-out d’irréalisables tant du point de vue commercial que technique. Ils estiment que la recherche non commerciale, la transparence et l’octroi de licences devraient être privilégiées et que les enjeux de rémunération équitable devraient être introduits ultérieurement, lors de la mise sur le marché des IA par leurs fournisseurs (Create.ac.uk)
Aux États-Unis, bien que la doctrine du fair use soit souple et permette de larges exceptions au copyright, son application à l’entrainement des modèles d’IA demeure soumise à l’appréciation des faits par les tribunaux. Les premières jurisprudences ont identifié deux enjeux principaux :
- l’utilisation des œuvres protégées par
copyright est-elle suffisamment « transformative », c’est‑à‑dire non destinée à des fins similaires ; et
- la génération par IA affecte-t-elle la valeur et/ou concurrence-t-elle les œuvres originales ?
Conclusion
Le règlement IA est en phase de mise en œuvre sous les auspices du Bureau de l‘IA (Commission européenne) qui vient de publier un troisième projet de code de bonnes pratiques à destination des modèles d’IA.
Les fournisseurs seront bientôt tenus de se conformer à l’article 53, à savoir être transparents et remplir un modèle (template) normalisé fournissant un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour l’entrainement afin de permettre aux titulaires de droits de s’opposer à l’utilisation de leur contenu. Cette mise en application progressive devrait déboucher sur d’autres actions en justice dans les 27 États membres dans les mois à venir.
En France, les conseillers du gouvernement vont déjà au-delà de la violation du droit d’auteur et marquent leur préférence pour une solution de licence légale, avec une redevance ou une rémunération proportionnelle versée par l’intermédiaire d’organismes de gestion collective pour remédier au préjudice présumé, faisant écho à des travaux universitaires publiés pour la première fois en 2015(3).
Cette approche pragmatique risque toutefois de freiner le marché croissant des licences et de compromettre la sécurité juridique nécessaires aux parties prenantes, alors que la redevance pour copie privée a fait l’objet de contentieux récurrents devant diverses juridictions, dont la Cour de Justice de l’UE ces dernières années.
Pour une coexistence prospère des industries créatives et de l’IA, la sécurité juridique devrait rapidement devenir la priorité absolue en France et ailleurs, nonobstant ces difficultés. T